La loi MOP n'est pas toujours obligatoire

Maîtrise d'ouvrage -

Arrêt du 15 avril 2014 Cour administrative d'appel de Douai CAA Douai du 15 avril 2014, n° 13DA00726, « Société Benoît Journel Environnement c/ l'Entente interdépartementale Oise-Aisne »

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Vu la requête, enregistrée le 13 mai 2013, présentée pour la société Benoît Journel Environnement, dont le siège est 15 avenue Ambroise Croizat à Folembray (02670), par Me Vincent Drain ; la société Benoît Journel Environnement demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1101676 du 5 mars 2013 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Entente interdépartementale Oise-Aisne à lui verser la somme de 136 304,02 euros en raison de la résiliation qu'elle estime abusive du marché de maîtrise d'oeuvre qu'elle avait contracté avec cet -établissement ;

2°) de condamner l'Entente interdépartementale Oise-Aisne à lui verser une indemnité de 137 859 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Entente interdépartementale Oise-Aisne une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

Vu le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles approuvé par le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978, modifié ;

Vu le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- les conclusions de M. Vladan Marjanovic, rapporteur public,

- les observations de Me Vincent Drain, avocat de la société Benoît Journel Environnement et de Me Jérôme Bouquet-Elkaïm, avocat de l'Entente interdépartementale Oise-Aisne ;

1. Considérant que l'Entente interdépartementale Oise-Aisne, dont la mission est de lutter et de prévenir les inondations de l'Oise, de l'Aisne, de l'Aire et de leurs affluents, a ouvert une consultation pour l'attribution d'un marché portant sur la réalisation d'une étude de programmation annuelle et de maîtrise d'oeuvre de travaux d'entretien et de rénovation des cours d'eaux domaniaux non navigables ; que l'appel d'offres prévoyait une tranche ferme dénommée " réalisation de l'étude et concertation ", une tranche conditionnelle appelée " conduite du programme de travaux " comprenant plusieurs phases dont celle d'assistance à la passation des contrats de travaux (ACT) et une enveloppe financière affectée aux travaux de 3 500 000 euros HT pour une période de cinq années ; que le marché a été attribué, le 2 juillet 2008, à un groupement composé de la société Benoît Journel Environnement, mandataire, de la société SPMC et de la société Caricaie ; que, par lettre du 27 décembre 2010, le maître d'ouvrage a résilié aux torts du groupement le marché en raison notamment de retards importants dans l'exécution des prestations ; que la société Benoît Journel Environnement relève appel du jugement du 5 mars 2013 du tribunal administratif d'Amiens ayant rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'Entente interdépartementale Oise-Aisne à lui verser une indemnité en raison de la résiliation du marché de maîtrise d'oeuvre qu'elle avait contracté ;

Sur la validité du contrat :

2. Considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu'ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à la validité d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard, d'une part, à la gravité de l'illégalité et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise de l'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les dispositions de la présente loi sont applicables à la réalisation de tous ouvrages de bâtiment ou d'infrastructure ainsi qu'aux équipements industriels destinés à leur exploitation dont les maîtres d'ouvrage sont : 1° L'Etat et ses établissements publics ; 2° Les collectivités territoriales, leurs établissements publics, les établissements publics d'aménagement de ville nouvelle créés en application de l'article L. 321-1 du code de l'urbanisme, leurs groupements ainsi que les syndicats mixtes visés à l'article L. 166-1 du code des communes (...) " ; et qu'aux termes de l'article 10 de la même loi : " Des décrets en Conseil d'État fixent, en distinguant selon qu'il s'agit d'opérations de construction neuve ou d'opérations de réutilisation et de réhabilitation et, le cas échéant, selon les catégories d'ouvrages et les maîtres d'ouvrages " ; qu'il en résulte que les dispositions de la loi ne sont applicables qu'à la réalisation d'ouvrages de bâtiments ou d'infrastructure qui relèvent du génie civil ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'acte d'engagement prévoyait un montant forfaitaire de 171 972,84 euros TTC pour la rémunération du groupement concernant la tranche ferme comprenant une mission " études préala-bles " (EP), l'avant projet (AVP) et une mission " études de projet " (PRO), les éléments de mission de la phase conditionnelle devant être rémunérés en fonction de la masse de travaux engagés annuellement ; que, toutefois, compte tenu de retards importants dans la phase d'étude entraînant un report des travaux au printemps 2011 alors qu'ils étaient initialement prévus pour l'automne 2009, le maître de l'ouvrage par lettre du 27 décembre 2010 procédait à la résiliation aux torts du groupement du marché de maîtrise d'oeuvre ;

5. Considérant que la mission telle que prévue au cahier des clauses particulières prévoyait la réalisation d'une étude et d'un programme pluriannuel de travaux d'entretien et de restauration des rivières domaniales non navigables et le suivi de ces travaux lesquels portaient sur les retraits d'embâcles, la restauration-renaturation, l'entretien de l'Aisne et de l'Oise impliquant notamment la lutte contre les plantes invasives, des abattages préventifs et des plantations ; qu'une telle mission ne peut être regardée comme relevant d'opérations de constructions neuves ni de réhabilitation de bâtiments ou d'ouvrages d'infrastructures tels que visés par les dispositions de la loi du 12 juillet 1985 précitée ;

6. Considérant que s'il est loisible aux cocontractants de s'inspirer des dispositions de la loi du 12 juillet 1985 précitées pour l'établissement des clauses du marché il ne résulte toutefois d'aucune stipulation du marché une référence expresse aux modalités de fixation de prix telles qu'énoncées aux articles 29 et 30 du décret du 29 novembre 1993 et il n'est pas établi que les parties auraient entendu se soumettre intégralement aux dispositions de la loi susvisée du 12 juillet 1985 et du décret du 29 novembre 1993 ; que par suite l'acte d'engagement en fixant le prix forfaitaire de la tranche ferme à un montant définitif de 171 972,84 euros TTC sans préciser le coût prévisionnel ni en déterminer les modalités n'a entaché d'aucune nullité le marché en question ;

7. Considérant que c'est à bon droit que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a fait application du contrat conclu avec l'Entente interdépartementale Oise-Aisne en 2008 pour régler le litige relatif à son exécution ;

Sur le bien-fondé de la résiliation :

8. Considérant qu'aux termes de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG-PI) : " 37.1. La personne publique peut résilier le marché aux torts du titulaire, après mise en demeure restée infructueuse, lorsque : / a) L'utilisation des résultats par la personne publique est gravement compromise, parce que le titulaire a pris du retard dans l'exécution du marché ; / b) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels (...) / La mise en demeure doit être notifiée par écrit et assortie d'un délai. Sauf stipulation différente, le titulaire dispose d'un mois, à compter de la notification de la mise en demeure pour satisfaire aux obligations de celle-ci ou pour présenter ses observations (...) " ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que des retards importants ont eu lieu dans le cadre de la mise en oeuvre de la première tranche du marché dénommée " réalisation de l'étude et concertation " relative aux phases EP, AVP et PRO ; que, dès le 12 mars 2009, le maître de l'ouvrage alertait par lettre la maîtrise d'oeuvre, faisant part de nombreuses remarques sur les manquements et incohérences de la phase EP ; que le directeur régional de l'environnement de Picardie relevait, par lettre du 13 mars 2009, des discordances et l'aspect sommaire du travail fourni ; que par lettre du 11 mars 2009, le directeur territorial de l'Agence de l'Eau Seine Normandie notait que " le travail est à approfondir... un important travail est nécessaire pour rendre cette étude pertinente... ne pas valider le document en l'état " et la Fédération départementale pour la pêche et la protection du milieu aquatique de l'Aisne et de l'Oise notait, par lettre du 2 mars 2009, " nous sommes très sceptiques quant à la qualité et la fiabilité du diagnostic réalisé... ", contraignant ainsi le comité de pilotage chargé du suivi de l'opération à demander une reprise du rapport provoquant une livraison de l'étude avec un retard de huit mois, soit en octobre 2009 ; que l'avant-projet (AVP) était reçu le 2 février 2010 au lieu du 12 avril 2009 prévu, la mission études de projet (PRO) étant réceptionnée avec un an de retard le 29 juin 2010 ; que si les différentes missions ont fait l'objet de réceptions, cette circonstance n'impliquait pas que les prestations avaient été remises dans les délais prévus au contrat ; que les retards très importants ont eu pour conséquence un report d'une année du programme quinquennal de l'opération amenant le maître d'ouvrage à réduire de moitié, par ordre de service du 7 avril 2010, la phase d'assistance à la passation des contrats de travaux (ACT) ;

10. Considérant que si un dossier de consultation des entreprises a été transmis par courriel au maître d'ouvrage le 7 juin 2010, l'entente interdépartementale relevait toutefois le caractère très peu précis du CCTP ainsi fourni et adressait notamment au maître d'oeuvre une aide à la rédaction de CCTP ; que de plus, le bordereau de prix unitaires des lots de travaux devant faire l'objet de la consultation comportait des imprécisions et a dû finalement être réalisé par les services du maître d'ouvrage, excluant une réception tacite du CCTP ; que, dès lors, le maître de l'ouvrage est également fondé à soutenir que l'exécution de la phase ACT a été marquée, ainsi qu'il le mentionne dans sa lettre du 18 octobre 2010 de mise en demeure, par des échanges insatisfaisants suscitant des demandes de précisions et approfondissements et nécessitant une réécriture partielle du CCTP travaux ; que les manquements de la société Benoît Journel Environnement sont ainsi établis et étaient de nature à justifier, à ses torts, la résiliation du contrat ;

11. Considérant que, dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande -indemnitaire ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

13. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la société Benoît Journel Environnement doivent, dès lors, être rejetées ;

14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Benoît Journel Environnement une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'Entente interdépartementale Oise-Aisne et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article 1er : La requête de la société Benoît Journel Environnement est rejetée.

Article 2 : La société Benoît Journel Environnement versera à l'Entente interdépartementale Oise-Aisne une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice -administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Benoît Journel Environnement et à l'Entente interdépartementale Oise-Aisne.

COMMENTAIRE

Un marché public pour la maîtrise d'œuvre de travaux d'entretien et de rénovation de cours d'eau domaniaux non navigables devait être réalisé par un groupement d'entreprises, pour le compte d'une entente interdépartementale. En raison notamment d'importants retards pris dans l'exécution des prestations, le maître d'ouvrage a résilié le marché aux torts du groupement. Le groupement fait appel de ce jugement estimant la résiliation du marché abusive.

Pour la cour administrative d'appel (CAA) de Douai, l'objet du contrat n'entrait pas dans le champ d'application de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'ouvrage privée, dite « MOP ». Le juge considère que la mission prévue au cahier des clauses particulières qui prévoyait la réalisation d'une étude et d'un programme pluriannuel de travaux d'entretien et de restauration des rivières domaniales non navigables ainsi que le suivi de ces travaux ne pouvait être regardée comme relevant d'opérations de constructions neuves ni de réhabilitation de bâtiments ou d'ouvrages d'infrastructures tels que visés par la loi dite « MOP ». En effet, le suivi des travaux portait notamment sur les retraits d'embâcles, la lutte contre les plantes invasives, des abattages préventifs et des plantations pour l'entretien de l'Aisne et de l'Oise.

Ainsi la CAA de Douai estime que le marché pouvait être résilié conformément à l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles : « La personne publique peut résilier le marché aux torts du titulaire, après mise en demeure restée infructueuse, lorsque : / a) L'utilisation des résultats par la personne publique est gravement compromise, parce que le titulaire a pris du retard dans l'exécution du marché (...) ». C'était le cas en l'espèce. Toutefois, rappelle le juge, les parties à un contrat peuvent décider volontairement de l'application en tout ou partie de la loi dite « MOP ».

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