La prestation d'avocat ne se sous-traite pas

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Arrêt du 20 juin 2014 Tribunal administratif de grenoble TA de Grenoble du 20 juin 2014, n° 1203893, « L'Ordre des avocats au Barreau de Paris c/ Sivom »

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Vu la requête enregistrée le 12 juillet 2012, présentée pour l'Ordre des avocats au Barreau de Paris dont le siège est situé 11 place Dauphine à Paris cedex 01 (75053), par Me Nahmias ;

L'Ordre des avocats au Barreau de Paris demande au Tribunal :

1°) d'annuler la décision du Syndicat à vocation multiple (Sivom) du Canton de Bozel d'attribuer à la société Sémaphores un marché d'étude juridique et technique pour sa transformation en communauté de communes ;

2°) d'annuler la décision du président du Sivom du Canton de Bozel de signer ce marché ;

3°) d'annuler la décision par laquelle le président du SIVOM du Canton de Bozel a rejeté le recours gracieux tendant à ce que le marché ne soit pas signé ou fasse l'objet d'une résiliation ;

4°) d'enjoindre au président du Sivom du Canton de Bozel de procéder à la résolution du marché, à défaut de saisir le juge du contrat, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte journalière de 150 euros ;

5°) de mettre à la charge du Sivom du Canton de Bozel la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

L'Ordre des avocats au Barreau de Paris soutient :

- que les décisions attaquées, qui ont pour objet d'attribuer un marché comprenant des prestations juridiques à une société ne répondant pas aux conditions fixées par la loi du 31 décembre 1971, porte atteinte aux intérêts professionnels qu'il a pour objet de protéger ;

- que les personnes habilitées à effectuer des prestations de conseil juridique sont limitativement désignées par les articles 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971 ;

- qu'avant d'attribuer le marché à la société Sémaphores, le Sivom n'a pas vérifié sa capacité à réaliser des prestations juridiques, en méconnaissance des articles 30 et 45 du code des marchés publics, alors même que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché prévoyait la rédaction d'actes juridiques et imposait la présence d'un avocat ou d'un juriste expérimenté ; que l'acte de sous-traitance produit par cette société étant postérieur à l'attribution du marché, sa candidature aurait dû être rejetée ;

- que la candidature de la société Sémaphores aurait dû être rejetée aux motifs qu'elle ne disposait d'aucun titre à réaliser des prestations juridiques et qu'elle ne pouvait faire valoir aucune compétence juridique ;

- qu'en tout état de cause son offre aurait dû être rejetée comme inacceptable ;

- qu'au surplus, la note technique attribuée à la société Sémaphores est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- que la présentation d'un sous-traitant postérieurement à l'analyse des offres et à l'attribution du marché n'a pu régulariser la situation du prestataire ; que le règlement de la consultation ne prévoyait pas la possibilité de recourir à la négociation ;

- que l'acte de sous-traitance produit ne couvre pas la totalité des prestations juridiques du marché, qui seront donc réalisées directement par la société Sémaphores ; que cette dernière reste responsable de l'exécution du marché ;

- que l'illégalité ainsi commise est de nature à entraîner la nullité du marché ;

- qu'elle implique que le juge enjoigne au Sivom du Canton de Bozel de résoudre le marché ou de saisir le juge du contrat ;

Vu les décisions attaquées ;

Vu le mémoire enregistré le 8 octobre 2012, par lequel l'Ordre des avocats au Barreau de Paris produit une pièce complémentaire ;

Vu le mémoire enregistré le 12 avril 2013 présenté pour le Sivom du Canton de Bozel, dont le siège est situé rue des Tilleuls BP 8 à Bozel (73350), par Me Pousset-Bougère ;

Le Sivom du Canton de Bozel conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Ordre des avocats au Barreau de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Le Sivom du Canton de Bozel fait valoir :

- que le mémoire technique remis par la société Sémaphores dans son offre prévoyait expressément l'intervention d'un cabinet d'avocats ; qu'il a donc retenu un candidat pouvant se prévaloir de compétences juridiques ;

- que l'analyse de la valeur technique de l'offre de la société attributaire du marché a tenu compte de l'intervention d'un avocat et de la composition de l'équipe dédiée aux prestations juridiques ;

- qu'un sous-traitant peut être accepté en cours de marché et non pas seulement au moment de l'analyse des offres ;

- que le montant indiqué sur l'acte de sous-traitance correspond à la phase n°1 du marché, à dominante juridique ;

- qu'en raison de l'absence d'irrégularité de la passation du marché, il n'y a pas lieu d'enjoindre à ce que le marché soit résolu ;

Vu les pièces dont il résulte que, par application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que le jugement était susceptible d'être fondé sur l'irrecevabilité, pour tardiveté, des conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision d'attribuer le marché à la société Sémaphores et de la décision de signer le marché avec cette société : le recours gracieux du 4 mai 2012 a été présenté au président du SIVOM du Canton de Bozel par une autorité dont il n'est pas établi qu'elle était alors habilitée à cet effet et n'a pu, dès lors, interrompre le cours du délai de recours à l'encontre des deux décisions mentionnées ci-dessus ;

Vu le mémoire enregistré le 30 mai 2014 par lequel l'Ordre des avocats au Barreau de Paris répond à la fin de non recevoir soulevée d'office et soutient que le recours gracieux a été régularisé par le dépôt de la requête, l'Ordre étant représenté par son bâtonnier ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 avril 2014 :

- le rapport de Mme Roux Beaume ;

- les conclusions de M. Vial-Pailler ;

- les observations de Me Cattier pour l'Ordre des avocats du Barreau de Paris ;

- et les observations de Me Peligry pour le Sivom du canton de Bozel ;

1. Considérant que le Sivom du Canton de Bozel a lancé une procédure adaptée pour la passation d'un marché public relatif à une mission d'étude et d'assistance à sa transformation en communauté de communes ; que ce marché a été attribué à la société Sémaphores ; que par lettre du 4 mai 2012, le bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau de Paris a demandé au président du Sivom de justifier du respect, dans le cadre de la procédure de passation de ce marché, des dispositions législatives relatives aux conditions d'exercice de la profession d'avocat ; qu'en réponse à cette demande, le président du Sivom l'a informé que les prestations juridiques comprises dans le marché seraient réalisées, en sous-traitance, par un cabinet d'avocats ; que l'Ordre des avocats du Barreau de Paris demande l'annulation de la décision d'attribuer le marché à la société Sémaphores, de la décision de signer le marché avec cette société et de la décision de rejet du recours gracieux du 4 mai 2012 ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant que, d'une part, qu'aux termes du 4° du II de l'article 30 du code des marchés publics : « Le pouvoir adjudicateur veille au respect des principes déontologiques et des réglementations applicables, le cas échéant, aux professions concernées » ; qu'aux termes du III de l'article 45 du même code : « Pour justifier de ses capacités professionnelles, techniques et financières, le candidat, même s'il s'agit d'un groupement, peut demander que soient également prises en compte les capacités professionnelles, techniques et financières d'autres opérateurs économiques, quelle que soit la nature juridique des liens existant entre ces opérateurs et lui. Dans ce cas, il justifie des capacités de ce ou ces opérateurs économiques et apporte la preuve qu'il en disposera pour l'exécution du marché (...) » ; que, d'autre part, qu'aux termes de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée : « Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui : 1° S'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66. / Les personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique. / Pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l'article 59, elle résulte des textes les régissant. / Pour chacune des activités non réglementées visées à l'article 60, elle résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire de celle-ci, par un arrêté, pris après avis d'une commission, qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d'expérience juridique exigées des personnes exerçant cette activité et souhaitant pratiquer le droit à titre accessoire de celle-ci » ;

3. Considérant que si l'article 30 précité du code des marchés publics autorise les soumissionnaires à s'adjoindre, notamment par voie de sous-traitance, le concours de spécialistes possédant les compétences dont eux-mêmes ne disposent pas afin de réunir l'ensemble des capacités requises à l'appui de leur candidature à l'attribution d'un marché public, c'est à la condition de ne pas méconnaître les dispositions déontologiques particulières régissant l'exercice de certaines activités et dont le pouvoir adjudicateur doit assurer le respect à tous les stades de la mise en concurrence ; que tel est le cas des prestations juridiques qui ne peuvent être délivrées que directement par les professionnels qui disposent des qualifications requises par l'article 54 précité de la loi du 31 décembre 1971, ce qui implique qu'ils soient cotraitants du marché à l'exécution duquel il doivent participer et donc qu'ils signent l'acte d'engagement ;

4. Considérant que le marché litigieux qui prévoyait, à l'article 5 de son CCTP, l'exécution d'études juridiques et la rédaction d'actes nécessaires au changement de statut du Sivom du Canton de Bozel, portait en partie sur la réalisation de prestations dont le titulaire, ou l'un des cotraitants, ne pouvait être qu'un opérateur répondant aux conditions de l'article 54 précité de la loi du 31 décembre 1971 ; qu'en acceptant d'examiner, puis en choisissant l'offre d'un candidat qui ne disposait pas de compétences juridiques et ne s'était pas adjoint le concours d'un juriste en l'intégrant dans un groupement, le pouvoir adjudicateur a méconnu les dispositions précitées ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que l'Ordre des avocats au Barreau de Paris est fondé à demander l'annulation des décisions d'attribution du marché à la société Sémaphores, de signer le marché avec cette société et de rejet de son recours gracieux ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. » ;

7. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction et notamment des arguments opposés en défense tirés de l'état d'avancement de l'exécution du marché, que la résolution de ce dernier porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ; que par conséquent, le présent jugement implique que le marché conclu avec la société Sémaphores soit résolu ou, à défaut d'accord amiable, que le juge du contrat soit saisi de conclusions en constatation de nullité ; que le présent jugement implique donc qu'il soit enjoint au président du Sivom du Canton de Bozel de poursuivre, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, la résolution amiable du marché ou, à défaut d'accord entre les parties, de saisir le juge du contrat de conclusions en déclaration du nullité, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge du Sivom du canton de Bozel la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'Ordre des avocats au Barreau de Paris et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, les conclusions présentées par le Sivom du Canton de Bozel, partie perdante, doivent être rejetées ;

Décide :

Article 1er : Les décisions du président du Sivom du Canton de Bozel relatives à l'attribution du marché public à la société sémaphores, à la signature de ce marché et au rejet du recours gracieux sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au président du Sivom du Canton de Bozel de poursuivre la résolution du marché dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. A défaut d'accord entre les parties, il lui est enjoint de saisir le juge du contrat de conclusions tendant à voir le marché déclaré nul, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : Le Sivom du Canton de Bozel versera la somme de 1 500 euros à l'Ordre des avocats au Barreau de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par le Sivom du canton de Bozel au titre de l'article L. 761-1 sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l'Ordre des avocats au Barreau de Paris et au Sivom du Canton de Bozel.

COMMENTAIRE

Un syndicat a lancé une procédure adaptée pour la passation d'un marché public relatif à une mission d'étude et d'assistance à sa transformation en communauté de communes. Ce marché a été attribué à une société qui devait sous-traiter, par un cabinet d'avocats, les prestations juridiques comprises dans le marché. Le bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau de Paris a demandé au président du syndicat de justifier du respect, dans le cadre de la procédure de passation de ce marché, des dispositions législatives relatives aux conditions d'exercice de la profession d'avocat.

Le tribunal administratif de Grenoble considère que la sous-traitance de prestations juridiques à un avocat est irrégulière au regard des règles déontologiques régissant la profession. Ainsi, si l'article 30 du Code des marchés autorise les soumissionnaires à s'adjoindre, notamment par voie de sous-traitance, le concours de spécialistes possédant les compétences dont eux-mêmes ne disposent pas, c'est uniquement à la condition de ne pas méconnaître les dispositions déontologiques particulières régissant l'exercice de certaines activités.

Des prestations juridiques ne peuvent être délivrées que directement par les professionnels qui disposent des qualifications requises par l'article 54 précité de la loi du 31 décembre 1971, ce qui implique qu'ils soient cotraitants du marché à l'exécution duquel ils doivent participer et donc qu'ils signent l'acte d'engagement. Un marché comprenant des prestations juridiques illégalement sous-traitées est donc entaché de nullité.

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