La délibération autorisant l'exécutif à acquérir une propriété privée était contestée

Cession de biens -

Arrêt du 2 juillet 2014 Conseil d'État CE du 2 juillet 2014, n° 366150, « M. B... D. et a. c/ M. D. et a. »

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 février et 21 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. B... D..., demeurant " ..., Mme F... -R... D...et M. E... P..., demeurant " ... ; M. D... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de l'arrêt n° 11LY02787 du 13 décembre 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir admis leur intervention, a rejeté l'appel de la commune de Moirans (Isère) tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 1000525 du 20 septembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a, à la demande de MM. et A...H..., J..., G..., N..., K... et I..., annulé la délibération du 19 novembre 2009 du conseil municipal autorisant le maire à procéder à l'échange sans soulte de la propriété communale du Vergeron contre la propriété des D... et lui a enjoint de prendre les mesures nécessaires à l'annulation de l'acte authentique du 21 avril 2010 dans un délai de 2 mois, d'autre part, au rejet de la demande de 1er instance des intéressés ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à l'appel contre le jugement attaqué ;

3°) de mettre à la charge de MM. et A...H..., J..., G..., N..., K...et I...la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que la contribution pour l'aide juridique de 35 euros au titre de l'article R. 761-1 du même code ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Maxime Boutron, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Balat, avocat de M. B...D..., de Mme F...-claire D...et de M. E...P...et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme H..., de M. et Mme.G..., de Mme N..., de M. et Mme K...et de Mme I... ;

1. Considérant que, par une délibération du 19 novembre 2009, le conseil municipal de la commune de Moirans a autorisé le maire à procéder à l'acquisition de la propriété de M. D... et de membres de sa famille, cadastrée AP 235, 240 et 237p, d'une superficie d'environ 232 m², composée d'une maison de ville comprenant quatre appartements, un galetas et un petit jardin non attenant, en échange d'une propriété de la commune, cadastrée AV 241p, d'une superficie d'environ 1672 m² et comportant l'immeuble dit du Vergeron, composé de cinq appartements ; que M. H...et d'autres membres du conseil municipal ont demandé l'annulation de cette délibération ; que, par un jugement du 20 septembre 2011, le tribunal administratif de Grenoble, qui n'a mis en cause que la commune de Moirans, a annulé la délibération du 19 novembre 2009 ; que M. D... et autres, qui avaient présenté une intervention devant la cour administrative d'appel de Lyon, se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 13 décembre 2012 par lequel la cour a rejeté l'appel de la commune de Moirans ;

Sur les motifs de l'arrêt relatifs à la procédure suivie devant le tribunal :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative : " Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. " ;

3. Considérant que, lorsqu'il est saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une délibération autorisant l'exécutif d'une collectivité territoriale à acquérir une propriété privée par convention, le tribunal administratif doit appeler dans l'instance la collectivité territoriale ainsi que le cédant ; que si l'absence de communication au cédant est sans influence sur la régularité du jugement, il est loisible au cédant, si le jugement rendu préjudicie à ses droits, de former tierce-opposition contre ce jugement devant le tribunal administratif ;

4. Considérant que si, postérieurement à l'introduction de cette tierce-opposition, le jugement est frappé d'appel par une partie, le tiers-opposant est recevable à intervenir dans cette procédure d'appel, sans avoir la qualité de partie ; que l'arrêt rendu en appel n'a pas pour effet de dessaisir le tribunal administratif de la tierce-opposition dont il est saisi s'il confirme le jugement ; qu'en revanche, si le jugement est annulé en appel, la tierce-opposition devient sans objet ;

5. Considérant qu'une tierce-opposition contre le jugement rendu par le tribunal administratif formée après qu'une partie a frappé ce jugement d'appel est irrecevable ; que la personne qui aurait eu qualité pour former tierce-opposition est dans ce cas recevable à intervenir dans la procédure d'appel ou, si elle n'a été ni présente ni représentée devant la juridiction d'appel, à former tierce-opposition contre l'arrêt rendu par celle-ci, s'il préjudicie à ses droits ; que la personne recevable à intervenir dans la procédure d'appel acquiert la qualité de partie dans cette instance ;

6. Considérant que, pour estimer que la circonstance que la demande de MM. et A... H..., J..., G..., N..., K...et I... tendant à l'annulation de la délibération du 19 novembre 2009 n'avait pas été communiquée à M. et Mme P...et à M. D...était sans influence sur la régularité du jugement, la cour a jugé que le tribunal administratif n'était pas tenu de procéder à une telle communication ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'en statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit ; que, toutefois, comme elle l'a aussi jugé, la circonstance que la demande n'a pas été communiquée à M. D...et autres était, ainsi qu'il a été dit au point 3, sans influence sur la régularité du jugement attaqué ; que ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué aux motifs de l'arrêt attaqué, dont il justifie sur ce point le dispositif ;

Sur les motifs de l'arrêt relatifs à la procédure suivie devant la cour :

7. Considérant qu'aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. " ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 que M. D...et autres, qui étaient -intervenus en appel au soutien des conclusions de la commune, avaient acquis la qualité de partie devant la cour ;

9. Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure devant la cour que si, dans son mémoire en réplique produit le 16 novembre 2012, la commune de Moirans reprenait les moyens précédemment développés dans ses mémoires antérieurs, elle répondait également à la fin de non-recevoir soulevée par les défendeurs en faisant valoir que sa requête n'était pas, contrairement à ce que soutenaient ceux-ci, dépourvue de moyens ; que, toutefois, la cour a rejeté la requête sans se prononcer sur cette fin de non-recevoir ; que, par ailleurs, il ressort de la note en délibéré produite par la commune devant la cour le 22 novembre 2012 qu'elle ne contenait pas l'exposé d'une circonstance de fait dont la commune n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que la cour n'aurait pu ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, ou d'une circonstance de droit nouvelle ou que la cour aurait dû relever d'office ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la cour aurait méconnu le caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle en ne leur communiquant pas ces deux productions ;

10. Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure devant la cour que le mémoire en défense, enregistré au greffe de la cour le 13 novembre 2012, a été communiqué à M. D...et autres le 14 novembre 2012 par télécopie, huit jours avant l'audience du 22 novembre 2012 ; que le moyen tiré de ce que, faute d'une communication régulière de ce mémoire, la cour aurait irrégulièrement statué doit être écarté ;

Sur les motifs de l'arrêt relatifs à la légalité de la délibération :

11. Considérant qu'une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé sauf lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes ;

12. Considérant que, pour juger que le tribunal administratif avait à bon droit annulé la délibération du 19 novembre 2009 pour méconnaissance de ces principes, la cour a relevé que, selon les avis donnés par le service des domaines en octobre 2008 et avril 2009, la valeur vénale de la propriété communale était de 520 000 euros et celle de la propriété de M. D... et de membres de sa famille de 236 000 euros environ ; qu'elle s'est, ensuite, prononcée sur l'étude effectuée par la commune en février 2012, selon laquelle la valeur vénale du premier bien était de 260 000 euros et celle du second de 215 000 euros ; que, pour juger que cette étude ne pouvait remettre substantiellement en cause les avis du service des domaines, la cour a relevé que son auteur avait, dans ses estimations selon la méthode par comparaison, pratiqué un abattement pour " immeuble occupé " de 40 % sur la propriété de la commune et de 20 % seulement sur la propriété de la famille D..., en raison de loyers moins élevés pour la location de la première, et qu'il avait fait la moyenne entre les résultats obtenus par la méthode par comparaison avec le prix de vente d'autres immeubles et ceux qui étaient obtenus par la méthode fondée sur les revenus produits ; qu'elle en a déduit qu'il avait, pour le calcul de son évaluation finale, commis une erreur en retenant deux fois une décote correspondant au fait que les occupants de l'immeuble appartenant à la commune bénéficiaient de loyers dits " sociaux " ; qu'elle a, enfin, jugé qu'en admettant même que l'opération d'échange puisse être regardée comme justifiée par des motifs d'intérêt général, la seule acceptation par M. D...et les membres de sa famille de ne pas renouveler les contrats de location de leur maison ne pouvait être regardée comme une contrepartie suffisante pour l'échange en litige, alors que la valeur de leur propriété était très inférieure à celle de l'immeuble de la commune ;

13. Considérant qu'en statuant ainsi, la cour a répondu à l'ensemble des moyens dont elle était saisie et a suffisamment motivé son arrêt ; que l'erreur de plume commise sur le taux de l'abattement pratiqué sur l'immeuble des requérants par l'expert, qui était de 25 % et non de 20 %, est sans incidence sur le bien-fondé de l'arrêt ; que la cour n'a pas dénaturé les éléments qui lui étaient soumis en estimant que l'évaluation finale de l'étude de la commune prenait en compte deux fois le fait que les occupants de l'immeuble communal bénéficiaient de loyers sociaux ; qu'elle n'a pas davantage dénaturé les faits qui lui étaient soumis en ce qui concerne l'état des immeubles litigieux et la surface de l'immeuble des requérants ; que si elle a relevé que les loyers des -appartements de l'immeuble communal pouvaient être augmentés après le transfert de propriété, elle n'a pas méconnu les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi du 23 décembre 1986 ;

14. Considérant que la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que la seule acceptation par les requérants de ne pas renouveler les contrats de location ne pouvait être regardée comme une contrepartie suffisante pour l'échange en litige ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. D...et autres doit être rejeté ;

16. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D...et autres la somme globale de 3 000 euros à verser à M. et Mme H... et autres au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. et Mme H...et autres qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser la contribution pour l'aide juridique à la charge de M. D...et autres ;

Décide :

Article 1

Le pourvoi de M. D...et autres est rejeté.

Article 2

La contribution à l'aide juridique est laissée à la charge de M. D...et autres.

Article 3

M. D...et autres verseront à M. et Mme H...et autres la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4

La présente décision sera notifiée à M. B... D..., à Mme F... -R... D..., à M. E... P..., à M. et Mme C...H..., à M. et Mme L...G..., à Mme M...J..., à Mme O...N..., à M. et Mme B...-Q... K..., à Mme F... -O... I...et à la commune de Moirans.

COMMENTAIRE

Le maire d'une commune a été autorisé par délibération de son conseil municipal à procéder à l'acquisition d'une propriété appartenant à des particuliers. Des tiers ont contesté cette délibération devant le juge administratif. Celui-ci a mis en cause la commune mais il a omis d'appeler à l'instance les particuliers ayant cédé le bien.

Pour le Conseil d'État, lorsqu'il est saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une délibération autorisant l'exécutif d'une collectivité locale à acquérir une propriété privée par convention, le juge doit appeler à l'instance la collectivité locale et le cédant. Cependant, l'absence de communication au cédant est sans influence sur la régularité du jugement.

Il est en revanche loisible au cédant de former une tierce opposition du jugement devant le juge saisi. Cette possibilité lui permet d'être recevable à intervenir dans la procédure d'appel, sans avoir la qualité de partie. Elle est néanmoins conditionnée au fait que le jugement doit préjudicier à ses droits, comme en l'espèce, où le tribunal administratif a annulé la délibération contestée.

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