Isolants réflecteurs minces : l'Autorité de la concurrence épingle Saint-Gobain et le CSTB

Isover et sa maison-mère Saint-Gobain, le CSTB et le syndicat des fabricants de laines minérales se seraient entendus pour faire obstruction aux isolants minces sur le marché de l’isolation des bâtiments.

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Isolants réflecteurs  minces : l'Autorité de la concurrence épingle Saint-Gobain et le CSTB
Rouleau mince multi-réflecteurs Triso super 9 MAX, de chez Actis, d'une épaisseur de 22mm

La partie de bras de fer qui oppose depuis des années le fabricant d’isolants minces réfléchissants Actis au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et au géant de la laine minérale Isover prend un nouveau tournant. Le quotidien Les Echos a révélé sur son site Internet que l’Autorité de la concurrence avait adressé cet été une notification de griefs à Isover, à sa maison mère Saint-Gobain, au CSTB et au Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (Filmm). Selon ce document confidentiel, auquel?le journal économique a eu accès, il est reproché à ces acteurs de l’industrie des produits de construction «?de s’être échangé, entre mars 2002 et mars 2007, des informations stratégiques et confidentielles?». Ces informations leur auraient apporté «?un avantage dans la concurrence, sans pour autant améliorer la transparence du marché?». Avant que l’Autorité de la concurrence ne prenne sa décision, les parties ont deux mois à compter de la notification pour présenter leurs observations.

L’Autorité a confirmé au Moniteur.fr qu’elle instruit une affaire dans le secteur des produits d’isolation thermique des bâtiments mais se refuse à tout autre commentaire. S’agissant du calendrier, compte tenu des délais de procédure, il faut compter au moins six bons mois à partir de la notification des griefs pour que la décision soit rendue.

Isover admet de son côté avoir reçu une note de l'Autorité de la concurrence, et déclare examiner actuellement le document. La filiale de Saint-Gobain « fera connaître ses arguments dans le cadre des instructions en cours. »

 

Actis doute des performances des laines minérales

 

Enfin Actis se félicite, dans un communiqué de presse, que la notification de griefs adressée par l’Autorité de la concurrence « confirme aujourd’hui les soupçons d’entente qui pesaient depuis plusieurs années sur ces acteurs du marché de l’isolation. L’attitude anticoncurrentielle de ces acteurs, qui dure depuis près de vingt ans, constitue un véritable scandale dont chacun, pouvoirs publics, professionnels du bâtiment et consommateurs, doit avoir conscience. »

  La PME de Limoux (Aude) assène encore : « en se liant ainsi, ils ont non seulement tout mis en œuvre pour dévaluer et décrier les performances des isolants minces réflecteurs mais aussi pour dissimuler le fait que les performances réelles des laines minérales sont bien inférieures à celles déclarées, conservant ainsi le bénéfice des aides financières dont les isolants minces sont privés. » Selon l’industriel, de nombreux rapports scientifiques, dont celui du British Board of Agrement (BBA), homologue anglais du CSTB, démontrent que la performance thermique des laines minérales une fois mises en œuvre décroît jusqu’à 80 %. »

 L’enquête lancée par l’Autorité de la concurrence à la demande d’Actis l’avait amenée, en juin 2009, à perquisitionner les locaux de l’Afnor, d’Isover, du CSTB et du Filmm. Ces derniers avaient contesté en justice la légalité des saisies opérées, notamment de fichiers informatiques et de messageries électroniques de salariés, mais la Cour d'appel de Paris les a déboutés en 2011.

 

Résistance thermique et tests in situ

 

La bataille d’Actis pour faire reconnaître les performances de ses produits d’isolation a commencé dès les années 1980. L’industriel produit en effet depuis trente ans des isolants réflecteurs minces et son bouillant PDG Laurent Thierry mène un combat sans merci contre les organismes de normalisation et de certification pour faire admettre que ses produits dérogent à la norme selon laquelle le pouvoir isolant des produits de construction est caractérisé par la résistance thermique R, mesurée en laboratoire et exprimée en mètres carrés.degrés Kelvin par Watt (m².K/W). Actis et les autres industriels réunis au sein du Syndicat des fabricants d’isolants réflecteurs minces multicouches (Sfirmm) ont beau défendre la thèse de phénomènes physiques différents dans leurs produits et dans les isolants traditionnels, qui nécessiteraient des méthodes de caractérisation différentes, la résistance thermique R resterait l’unique critère d’évaluation de la performance d’un produit isolant, donc donc le seul qui soit pris en compte par la réglementation thermique. Or les produits minces présentent, selon une étude du Prébat, une piètre résistance thermique, comparés aux isolants traditionnels : R atteint tout au plus 2 m².K/W dans les meilleures conditions pour un produit de 2 cm d’épaisseur avec deux lames d’air adjacentes, à comparer à 5 m².K/W pour 20 cm de laine de verre. Des résultats sujets à caution selon le Sfirmm.

 

Complément d'isolation thermique

 

Le CSTB et la commission chargée de formuler des avis techniques ne consentent le plus souvent à accorder aux produits minces réfléchissants qu’un statut de « complément d'isolation thermique ». Une douzaine d’avis techniques ont été délivrés depuis 2006 et 5 agréments techniques européens formulés par le CSTB depuis 2008. Le groupe spécialisé n° 20 « produits et procédés spéciaux d’isolation » de la commission a par ailleurs publié en 2004 une note d’information plusieurs fois mise à jour dans laquelle il alerte les prescripteurs et entrepreneurs sur les risques de condensation provoqués par ces produits très étanches à la vapeur d’eau, pouvant entraîner le pourrissement des charpentes bois ou la corrosion du métal.

 

Normes d’essais internationales

 

Selon Actis, « par leur entente, Saint-Gobain et le CSTB ont entravé les procédures de normalisation de la méthode de tests in situ au niveau français et européen pour les isolants minces multicouches réflecteurs. »

Maxime Roger, directeur opérationnel du CSTB en charge du département isolation et revêtements, explique de son côté que,  « comme partout ailleurs en Europe et à l'international, l'évaluation des produits de construction en France est faite sur la base de méthodes publiques permettant la caractérisation des phénomènes physiques et permettant la comparaison objectives des performances intrinsèques du produit. » Ces méthodes sont reconnues par l’ensemble de la communauté scientifique internationale. Et si la résistance thermique R mesure bien la capacité d’un matériau à limiter les transferts de chaleur par conduction, les méthodes d’évaluation intègrent aussi d’autres mesures pour caractériser la convection ou le rayonnement, les deux autres vecteurs de transmission de chaleur. Depuis quelques mois, la norme européenne EN 16012 décrit ainsi les essais de caractérisation des produits réfléchissants. « Les normes existantes sont donc appropriées pour l’évaluation des produits réfléchissants, conclut-il ».

Le Sfirmm a cependant réussi à convaincre le Comité européen de normalisation (CEN) d’élaborer une norme d’essai spécifique, sur la base de tests in situ et un groupe de travail a été constitué fin 2009. « Mais une controverse au sein de la communauté scientifique ralentit les travaux des experts, constate Maxime Roger. La mesure directe de la performance in-situ donne un résultat uniquement valable pour la cellule testée et éventuellement incertain (précision des outils de mesure, complexité des échanges thermiques). Il ne permet pas la comparaison de l'efficacité des produits et ne peut donc pas se substituer aux essais normalisés. Quant à la mesure comparative (seulement basée sur la comparaison de la consommation entre deux cellules), elle est influencée par trop de paramètres pour en tirer une conclusion sur la seule performance des produits isolants : la résistance thermique du produit isolant, la conception de la paroi, les ponts thermiques, la mise en œuvre du produit, la perméabilité à l’air de la cellule, les apports solaires, le rayonnement avec la voûte céleste… »

Les batailles d’experts ne sont pas près de s’arrêter.

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