Marie-Françoise Manière, présidente de l’Unsfa : « Plus d’architectes c’est plus d’architecture »

Les architectes se réunissent en congrès du 23 au 25 octobre à Saint-Etienne pour débattre de l’avenir de la profession. Le projet d’ouverture du capital des sociétés d’architecture, les attaques contre la loi MOP, la perception faussée de leur rôle les inquiètent. Ils demandent à leur ministre de tutelle de renforcer leur métier.

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Marie-Françoise Manière, présidente de l’Unsfa : « Plus d’architectes c’est plus d’architecture »
Marie-Françoise Manière, présidente de l’Union nationale des syndicats français d’architectes (Unsfa)

Le congrès 2014 de l’Union nationale des syndicats français d’architectes (Unsfa), qui se tient à Saint-Etienne, a pour thème « Plus d’architectes ». Quel est votre message ?

Marie-Françoise Manière : Ce thème est volontairement provocant. Mais plus il y aura d’architectes, plus les Français exigeront un cadre bâti de qualité. C’est notre « politique de l’offre ». L’offre d’architecture de qualité créera la demande. Produite par des praticiens plus nombreux, elle sera également relayée par les titulaires du diplôme d’architecte qui, au sein de la maîtrise d’ouvrage, des entreprises, des collectivités locales, de l’industrie et souvent bien au-delà du monde de la construction, irriguent de culture architecturale toutes les composantes de la société.

Ces diplômés en architecture qui n’exercent pas sont-ils nombreux ?

M.-F. M. : Ils sont au moins autant que les 30 000 inscrits au tableau de l’Ordre, et cela peut encore progresser. Quant à ceux qui pratiquent le métier, je rappelle simplement que leur nombre est, en France, de 46 pour 100 000 habitants, pour une moyenne européenne de 82. Nous devons favoriser l’installation d’architectes de proximité. Plus d’architectes, c’est plus d’architecture.

Est-ce le moment de plaider pour davantage d’architectes alors que l’activité est en baisse ?

M.-F. M. : Les architectes rencontrent deux difficultés : d’une part leurs carnets de commandes s’épuisent, d’autre part le grand public a une perception faussée de leur rôle. Au congrès, nous débattrons évidemment de la conjoncture économique et des solutions pour y faire face, mais nous voulons également nous attaquer sur le long terme à la perception de l’architecture comme un luxe onéreux, qui coupe la profession d’une part importante de sa mission sur le terrain.

La profession doit-elle se tourner davantage vers la commande des particuliers ?

M.-F. M. : Pas seulement. L’objectif est de faire découvrir le rôle social et technique de l’architecte à tous les niveaux. Il est frappant de constater que, à l’heure de la transition énergétique et de la relance du logement, les hommes politiques ne s’adressent pas aux maîtres d’œuvre. Nous devons nous battre pour faire entendre notre voix dans les groupes de travail chargés d’élaborer les nouvelles réglementations. Nous devons constamment nous expliquer, nous justifier et démontrer l’intérêt public de l’architecture. Contrairement à l’idée reçue, nous ne sommes pas synonymes de surcoût, ni de délais d’études supplémentaires, et encore moins de complications superflues nées de gestes architecturaux gratuits, comme on veut trop souvent le faire croire.

La perception de l’architecte est faussée…

M.-F. M. : Le particulier, comme le politique, rechigne à s’adresser à l’architecte. L’architecte est même suspecté, au sommet de l’Etat, d’être un nanti qui gagne 4 211 euros par mois en moyenne, alors qu’en réalité il avoisine les 2 700 euros. Je suis choquée par cette approche financière tendancieuse, qui donne lieu à un rapport sans mesure sur les professions réglementées - dont l’architecture fait partie - remis au ministre de l’Economie avant l’été.

Quelles sont les conséquences de cette absence de reconnaissance ?

M.-F. M. : Concrètement, le gouvernement recule pour rétablir le recours obligatoire à l’architecte au niveau où il était avant la création de la surface de plancher ; il n’a pas d’ambition pour les écoles de la profession ; il limite son action au patrimoine historique et à des opérations de communication ; plus récemment, il ne prévoit de rendre possible le financement des honoraires de maîtrise d’œuvre par l’ECO-PTZ que parce que l’Unsfa se mobilise pour le demander ; et, actuellement, il projette de remettre en cause le fait que le capital des sociétés d’architecture doit être majoritairement détenu par des architectes. Si j’ajoute à cela les attaques répétées de la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique, dite « loi MOP », nous pouvons imaginer le pire…

Comment comptez-vous vous y prendre pour renverser la situation ?

M.-F. M. : La transformation des contraintes spatiales en qualité d’usage, l’adaptation de la construction à la solvabilité des ménages, les réponses appropriées à la complexité urbaine pour éviter l’étalement urbain, la maîtrise des différents aspects techniques liés à l’amélioration thermique du bâti… mobilisent les architectes. C’est sur ce terrain que nous sommes les meilleurs. Mais il faut reconnaître qu’il est particulièrement difficile de lutter contre les lobbies qui veulent réduire les études architecturales au minimum, voire s’en emparer pour vendre des produits vite pensés, vite étudiés, et qui dégagent des marges financières supérieures. Le recours à un architecte est pourtant un acte économique performant par sa valeur ajoutée patrimoniale, grâce notamment à des études préalables séquencées et à l’encadrement de la réalisation par un professionnel indépendant des marchés. C’est pourquoi les politiques doivent réellement s’emparer de l’intérêt public de l’architecture.

Comment les hommes politiques peuvent-ils s’emparer de cet intérêt public ?

M.-F. M. : En s’appuyant sur la profession plutôt qu’en cherchant à y échapper. Or, ce n’est pas le chemin pris lorsque le politique crée les sociétés publiques locales (SPL et SPA), afin de reconstituer la maîtrise d’œuvre publique aujourd’hui quasiment disparue ; tente de créer des services publics de l’efficacité énergétique (SPEE) chargés d’organiser un guichet unique offrant des services allant du diagnostic initial jusqu’au financement ; refuse de doter les futurs architectes d’une solide formation technique et professionnelle initiale pour affronter un environnement professionnel de plus en plus complexe (NDLR : en passant l’habilitation à exercer en nom propre à deux, voire trois ans)… pour ne citer que ces exemples.

Le tableau que vous brossez n’est-il pas trop sombre ?

M.-F. M. : Nous en sommes arrivés à un point où certains architectes se font appeler « maîtres d’œuvre » pour éviter l’étiquetage de nantis qu’on leur colle à la peau !

Pourtant, les artisans et les entreprises ont besoin d’être encadrés, les maîtres d’ouvrage d’être conseillés, les habitants d’être écoutés. Alors que notre société connaît des changements profonds, qui peut, mieux que l’architecte, embrasser la complexité des questions sociales et techniques liées au colossal chantier de la rénovation thermique ?

Avez-vous l’espoir de voir la situation s’améliorer ?

M.-F. M. : La commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale vient de rendre une étude éclairante sur le rôle des architectes, leurs maux et leur force. Il ressort de ce travail rendu public avant l’été, 36 propositions pour renforcer la profession et son efficacité. C’est très positif et réaliste.

A notre congrès, je veux évoquer ce rapport avec notre ministre de tutelle, Fleur Pellerin, ministre de la Culture. Je lui demanderai son soutien pour reconstruire ou renforcer le métier d’architecte et préserver le patrimoine et l’environnement des Français, aujourd’hui et demain. De façon durable.

Cet entretien est extrait du « Moniteur » n°5785 du 10/10/2014, pp. 22-23 dont la version numérique est accessible ici (accès réservé aux abonnés).

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