Petit manuel de « savoir-survivre » à l’usage des architectes

Pour les architectes, 2015 arrive avec son lot d’incertitudes. Avec une commande publique quasi nulle et des programmes de logements privés en berne, 2014 a été une année sinistrée. Sans parler des abandons de projets décrétés dans la foulée des élections municipales.

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Alors, la profession y va de ses pronostics. Certains fondent des espoirs sur le choc de simplification, la réforme territoriale, voire la « stratégie nationale pour l’architecture » promise par Fleur Pellerin, ministre de la Culture. Mais l’optimisme n’est pas la règle. Les agences, petites ou grandes, à Paris ou en région, tentent néanmoins de pallier la situation par une organisation optimisée. Pour Xavier Gonzalez, de l’agence Brenac & Gonzalez, « le maître mot est adaptation. » Il n’est pas de solution miracle, ni de réponse immédiate. Cela se saurait. Mais quelques stratégies engagées sur le long terme peuvent aider.

Unir les forces

« Un architecte ne peut plus travailler seul dans son coin. Nous leur adressons donc ce message : mettez-vous en société, groupez-vous, structurez-vous, vous serez plus forts, plus efficaces », lance Jean-Michel Daquin, le président du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France (Croaif). Dans un pays où seulement 8 % des agences comptent sept salariés et plus (voir ci-dessous), la mise au pot commun des idées et des moyens a justement tendance à se développer, au moins pour des projets ponctuels. Peut-être davantage que le regroupement en société, qui nécessite d’avoir une même conception de l’architecture dans la durée, les architectes privilégient les associations sur des projets spécifiques. Par exemple, les agences parisiennes Air et Laps, ainsi que l’atelier de design ADN, qui partageaient déjà leurs bureaux, ont créé le collectif Hyperuranium pour collaborer sur certains projets. Pour Olivier Leclercq, d’Air Architectures, « la crise provoque cette ouverture d’esprit qui nous amène à travailler avec d’autres ». L’union permet d’atteindre la masse critique qui ouvre l’accès à des programmes de plus grande ampleur… Et donc plus rémunérateurs. Chacun apporte ses compétences, mais aussi ses références. En s’associant à des confrères qui ont déjà réalisé des lycées, des piscines ou des logements, on peut être admis à concourir pour des programmes auxquels on avait jusqu’alors jamais touché. Un « plus » indéniable quand on sait que la polyvalence prime désormais.

Sortir des cases

Xavier Gonzalez pointe un défaut bien français : « Nous adorons mettre les gens dans des pots. Il est ensuite difficile d’en sortir. » Or, la survie des agences tient désormais à leur capacité à se diversifier. L’agence Gautier + Conquet, installée entre Paris et Lyon, est de longue date « à la fois sur les domaines de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage, explique l’architecte Dominique Gautier. Quand la commande se restreint dans l’espace public, mais reste assez stable en architecture, cette non- spécialisation est assurément un atout. L’agence renforce à présent son pôle urbanisme pour approcher des maîtres d’ouvrage publics qu’on ne connaissait pas ». De nouveaux donneurs d’ordre, les architectes en cherchent aussi du côté du privé. Ils sillonnent sans doute davantage les allées de salons de l’immobilier, comme le Simi ou le Mipim, ou tentent le contact direct. « Nous sommes assez sollicités, en particulier par de jeunes agences, note Pauline Brossard, à la direction du programme Rehagreen chez Bouygues Immobilier. C’est aussi parce que les promoteurs portent plus attention à l’architecture, surtout depuis que l’on reparle de qualité d’usage. »
Parce qu’elle souhaitait de longue date dessiner du mobilier, Sandra Planchez, qui a créé l’agence Splaar en 2013, vient, elle, de concevoir un modèle de lit modulable. « Cela permet aussi de diversifier les sources de revenus », remarque-t-elle.
L’appel du large, enfin, peut se faire ressentir. Néanmoins, travailler à l’export relève de la stratégie de longue haleine. L’agence parisienne AW², créée en 1997, fait 80 % de son chiffre d’affaires à l’étranger, « mais c’est dans l’ADN de l’agence depuis le début », explique Stéphanie Ledoux, une des deux associés. Et quand Jean-Paul Viguier, qui est à la tête d’une des rares agences françaises employant environ 100 personnes, dit « intensifier la prospection à l’international », il a pour lui d’y être déjà connu.

« Je sais faire du BIM ! »
« Je sais faire du BIM ! »

Affûter les outils

A devoir être polyvalents, les architectes sont donc censés savoir tout faire, et être parfaitement au point y compris sur les grands enjeux les plus récents que sont la qualité environnementale, la réhabilitation, l’accessibilité, etc. Et, bien évidemment, cet outil de conception numérique qu’est le BIM (Building Information Modeling). La formation continue en devient un passage recommandé, voire obligé. Organisme de formation pour les architectes créé en 1968, le Gepa a notamment constaté ces derniers mois une forte demande au sujet des Agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP). « C’est un marché nouveau. Du coup, pour l’offre mise en ligne depuis octobre dernier, 600 personnes sont déjà inscrites. Et nous avons drainé un public qui habituellement ne se forme jamais, comme les architectes libéraux. C’est très révélateur d’une recherche de nouveaux débouchés », remarquait récemment Bernard Coudert, son président.
Quant au fameux BIM, si l’ensemble de la chaîne de la construction n’est pas encore engagé dans cette révolution numérique, certains aiguisent déjà leurs connaissances. Depuis un an et demi, les équipes de Jean-Paul Viguier se sont ainsi formées à l’utilisation du logiciel Revit. Pour l’architecte, « la crise nous oblige à faire la différence par rapport à nos concurrents. Celle-ci peut tenir à notre maîtrise de la 3D ».

Tenir les comptes

« Je ne sais pas gérer. » Quand Jean Nouvel fait cet aveu au journal « Le Parisien Magazine », en décembre 2014, il entretient le mythe de l’architecte-artiste qui œuvre pour la postérité, mais qui a les poches percées. La profession a cependant conscience aujourd’hui que les agences sont des entreprises comme les autres, et beaucoup mesurent leur responsabilité à tenir les cordons de la bourse. L’architecte Xavier Gonzalez souligne l’importance accrue de la gestion « en période de crise, quand on est dans l’hypernégociation. Il faut être rigoureux et nous ne sommes pas formés pour ça ». Les agences ont bien compris qu’il fallait confier ces missions d’administration, de comptabilité ou de gestion des ressources humaines à des professionnels. Quand leur taille le leur permet, elles y consacrent un poste en interne. Mais de petites agences, comme celle de Sandra Planchez, font appel à un prestataire extérieur. Avec Fages Conseil, Michelle Lobjois propose depuis vingt ans aux maîtres d’œuvre des services de secrétariat général externalisé. Et elle observe aujourd’hui que « les architectes de moins de 40 ans sont soucieux de ces questions. Finalement, nous parvenons aussi à faire comprendre à leurs aînés que gérer c’est anticiper. Et que tout ça, c’est autant de temps de gagné pour faire de l’architecture ».

« Je bosse, là. »
« Je bosse, là. »

Soigner l’image

La crise, pour le moment, le photographe d’architecture nantais Stéphane Chalmeau n’en ressent pas complètement les effets. « Avec le temps du chantier, les projets gagnés il y a cinq ans sortent de terre, alors j’ai du travail et même un peu plus qu’habituellement. Quand, sur un concours, les architectes doivent se battre à 500 et non plus à 50 comme avant, leur réflexe est en effet de soigner leur book, constate-t-il. Mais ils sont aussi plus vigilants sur les devis qu’ils nous demandent. » Ce souci de la promotion, les deux fondatrices de l’agence de communication Metropolis, Olivia du Mesnil du Buisson et Chloé Habig, l’ont constaté : « tout le monde est concerné, y compris des architectes de province qui jusqu’ici ne s’étaient pas posé la question, parce qu’ils jouissaient d’une bonne assise locale. Maintenant que les agences parisiennes viennent prospecter sur leur territoire, ils veulent user des mêmes outils de communication ». Pour se faire connaître des médias autant que des maîtres d’ouvrage, les architectes donnent aussi davantage de leur personne. Ils sortent plus dans les cocktails et les conférences, serrent plus de mains… Mais l’agence Metropolis met en garde contre la tentation de l’ultracommunication : « Se faire connaître n’est pas une fin en soi, cela doit rester un support. » Un architecte prévient encore : « Il faut doser. Quand une agence communique trop, on pourrait imaginer qu’elle a déjà beaucoup de travail. »

Activer les méninges

Ce temps de crise, finalement, ne pourrait-il pas être vu comme un moment de pause, un temps utile pour prendre du recul et tenter de nouvelles approches ? Et ce, même si la baisse d’activité dans les agences reste relative, puisque les effectifs ont souvent baissé et que les journées de travail ont rallongé. L’agence Vallet de Martinis, par exemple, a mis à profit « un creux » pour participer, en association avec ses confrères de Diid, à un concours international ouvert lancé par le musée des Beaux-arts de Budapest, en Hongrie. Heureuse initiative, puisque leur projet pour le musée d’Ethnographie a été désigné lauréat par le jury en décembre dernier. De son côté, l’agence Moreau-Kusunoki est l’une des six équipes finalistes, sur 1 715 participants, pour le projet du futur musée Guggenheim d’Helsinki (Finlande).
Pour Olivier Leclercq, de l’agence Air Architectures, il est temps aussi de « réinventer notre métier. On ne peut plus tabler sur un retour de la croissance. Il faut donc commencer à travailler sur une économie plus solidaire, fondée sur des financements alternatifs ». C’est peut-être aussi cette envie de nouveaux modèles qui explique le succès rencontré au cours des derniers mois par l’exposition « Matière Grise » au pavillon de l’Arsenal, à Paris (voir notre article du 26 décembre 2014), qui vante les vertus d’un usage plus raisonné des matériaux et de leur réemploi. Olivier Leclercq est de ceux qui veulent croire en « la résilience », cette capacité à ressortir d’une situation de crise par le haut.

Chiffre d’affaires en baisse et effectifs stables

En 2014, le chiffre d’affaires annuel moyen des agences d’architecture en France a été de 261 266 euros. Révélé par l’enquête menée par l’Ifop pour le Conseil national de l’Ordre (voir notre dossier du 14 novembre 2014), ce résultat pourrait, seul, résumer l’impact de la crise sur la profession. En effet, jamais depuis 2008, ce chiffre n’était descendu en dessous de 270 000 euros. La rémunération des architectes s’en ressent : le revenu moyen (avant impôt) s’est élevé à 33 234 euros en 2014. Il était donc en léger recul par rapport à 2013 (33 643 euros). Mais, en 2008, ce même revenu moyen atteignait 41 139 euros. Que 73 % des personnes interrogées s’estiment insatisfaites par leur niveau de revenus n’étonnera donc personne. Côté effectif, le nombre d’agences n’employant aucun salarié a un peu augmenté, pour atteindre 53 % des structures contre 49 % l’année précédente. En moyenne, une agence française compte 1,7 salarié. Et la tendance ne devrait pas être à l’embauche en 2015. Lors de l’enquête menée au début de l’été 2014, 79 % des sondés prévoyaient de garder leurs équipes stables dans les douze mois à venir et 8 % seulement pensaient recruter. Mais ils n’étaient donc que 13 % à envisager des licenciements.

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