Un acheteur public ne peut se dégager d'un contrat au motif qu'il l'a mal conclu !
Les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent ignorer les règles régissant la passation des marchés publics. S’ils s’en affranchissent, les marchés néanmoins conclus, fussent-ils irréguliers, n’en produisent pas moins leurs effets entre les parties. C'est la leçon tirée par Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil général de la Côte-d'Or, d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 29 septembre.
Point de vue d’Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil général de la Côte-d’Or
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Point de vue d’Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil général de la Côte-d’Or
Fondée sur la jurisprudence « Béziers 1
(1) », la décision rendue par le Conseil d’Etat le 29 septembre 2014
(2) illustre de nouveau la difficulté pour les parties de se défaire d’un marché signé en méconnaissance des obligations de mise en concurrence fixées par le Code des marchés publics. A leur égard, le juge du contrat n’est pas le juge de la légalité de la passation du marché.
Rappelons qu’en principe, une irrégularité affectant la passation du contrat ne justifie pas que celui-ci soit écarté pour régler un litige opposant les parties. Par exception, le contrat est neutralisé lorsque la gravité du manquement et les circonstances de sa commission sont telles que le litige ne peut être réglé par application des clauses contractuelles.
Marché signé directement après un démarchage commercial
En l’espèce, une commune démarchée par une société de location de matériel de reprographie a signé directement avec cette dernière, en un peu moins de deux mois, trois marchés pour un montant total de 93 765 euros HT. Suite au refus de la commune de s’acquitter du paiement des loyers, la société procéda à la résiliation anticipée du marché et réclama le paiement de l’indemnité correspondante, conformément aux conditions générales de location acceptées par la commune.
Pour écarter l’application des contrats passés sans publicité ni mise en concurrence, la cour administrative d’appel de Nancy avait retenu que, le marché ayant été signé par la commune le jour de la livraison des matériels, elle n’avait donc pas pu prendre suffisamment connaissance de la teneur de ses engagements contractuels, notamment, la faculté de la société de résilier unilatéralement le marché et d’obtenir une indemnité de résiliation anticipée.
Toutefois, le Conseil d’Etat retient que la clause contractuelle litigieuse, qui concerne les modalités de sortie du contrat, n’est pas directement liée à la décision de la commune de méconnaître ses obligations de publicité et de mise en concurrence, vice touchant la procédure de passation du marché. Le Conseil d’Etat précise ainsi que les circonstances dans lesquelles l’illégalité a été commise doivent être directement liées au vice de passation retenu. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy est par conséquent annulé et l’affaire renvoyée à celle-ci.
Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude
Relevons également que par un arrêt du 31 juillet 2014 (3)
, la cour administrative d’appel de Paris a jugé que la circonstance qu’un marché de 88 000 € HT soit passé sans publicité ni mise en concurrence, même informelle, ne peut à elle seule constituer une irrégularité suffisamment grave s’opposant à ce que litige puisse être réglé sur le terrain contractuel.
Ces décisions traduisent l’adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans (4). En tant que professionnels avertis – ou censés l’être –, les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent ignorer les règles régissant la passation des marchés publics. S’ils s’en affranchissent, les marchés néanmoins conclus, fussent-ils irréguliers, n’en produisent pas moins leurs effets entre les parties.
A moins que, sur recours des tiers, le contrôle juridictionnel du respect de la légalité reprenne ses droits…
(1) CE, 28 décembre 2009, "Commune de Béziers", req. n° 304802.
(2) CE, 29 septembre 2014, "Société Grenke location", req. n° 369987.
(3) CAA Paris, 31 juillet 2014, SAS Leasecom, req. n° 11PA04901.
(4) Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
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