Point de vue - "Les mesures réglementaires sur l'accessibilité portent en leur sein les raisons évidentes de leur fiasco annoncé"

Joël Hovsepian, fondateur de Precodia (ingénierie conseil), spécialiste des questions d'accessibilité, analyse pour LeMoniteur.fr les décrets relatifs à la mise en accessibilité des établissements recevant du public suite à l'ordonnance du 26 septembre 2014.

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Point de vue -
Joël Hovsepian - Sarl Precodia (ingénierie conseil) - Expert près la cour d’appel d’Aix en Provence

Moins d’un mois après la publication de l’ordonnance mettant officiellement en place l’Agenda d’Accessibilité Programmée (Ad’AP), sont publiés au journal officiel du 6 novembre 2014, deux décrets du 5 novembre 2014 (n° 2014-1326 et 2014-1327) venant préciser les conditions de dépôt et d’obtention de l’Ad’AP pour le décret n° 2014-1327 et la notion d’accessibilité des Etablissements Recevant du Public (ERP) dans le décret n° 2014-1326.

Si le texte n° 2014-1327 concernant la procédure de dépôt et d’obtention des Ad’AP ne présente que peu d’originalité et simplement l’intérêt d’une procédure relativement simple, le texte n° 2014-1326 ne bénéficie pas de la même clarté. Même si ses dispositions ne relèvent pas d’une complexité très élaborée, il n’en reste pas moins qu’il porte en son sein un certain nombre de mesures qui, si elles atteignent leur objectif au premier regard, n’en sont pas moins, pour certaines, autant d’occasions de générer de nouvelles problématiques en plus de celles qu’elles ne résolvent pas.

Une fois n’est pas coutume, ce texte donne l’impression que le dossier de l’accessibilité est devenu une bombe à retardement dont, à défaut de désamorçage, on recule, in extremis, le moment fatidique de l’allumage.

On ne sait, après toutes ces mesures, après tous ces textes, après toutes ces années (le dixième anniversaire va bientôt arriver) si l’accessibilité aura un jour une chance d’être non seulement appliquée mais perçue par les uns comme une avancée sociale et sociétale et par les autres comme une évidence et non une contrainte supplémentaire dont les effets pourraient être catastrophiques.

Rarement une mesure réglementaire n’a autant porté en son sein sa propre contradiction et les raisons évidentes de son fiasco annoncé.

Nous ne détaillerons pas ici les dispositions relatives à l’Ad’AP qui, si elles demandent encore quelques précisions, n’en sont pas moins dans la droite lignée des dossiers administratifs, c’est à dire potentiellement simples à mettre en œuvre mais réellement ambiguës.

1 - Dès les premières mesures …

L’article 7 du décret 2014-1326 du 05 novembre 2014  modifie l’article R 111-19-7 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) en doublant sa rédaction initiale. L’on pourrait se laisser aller à penser que cette évolution quantitative s’accompagne d’une évolution qualitative. Ce serait oublier le terrain instable sur lequel s’érige cet article : une réglementation née d’une bonne intention et qui n’a malheureusement jamais dépassé ce stade embryonnaire.

Dès les premières lignes, la fin du premier paragraphe, ce texte vient quasiment se saborder en énonçant : "Les conditions d'accès des personnes handicapées doivent être les mêmes que celles des personnes valides ou, à défaut, présenter une qualité d'usage équivalente" après avoir consciencieusement rappelé toute la longue liste des situations que les personnes à mobilité réduite (PMR) ne doivent plus, demain, vivre comme un obstacle à leur autonomie.

Il est donc, à compter de maintenant, obligatoire de garantir aux PMR les mêmes « droits » d’accès que les personnes valides mais il est cependant réglementairement autorisé à prévoir quelque aménagement équivalent, d’usage équivalent.

C’est à dire que l’exigence d’égalité de traitement que la réglementation avait érigée en étendard de la lutte contre l’exclusion vient de prendre un sérieux plomb dans l’aile et entamer sa lente descente vers le sol.

Il sera ainsi, dès à présent, possible de prévoir pour les PMR, une autre solution pourvu qu’elle permette d’atteindre l’objectif. C’est à dire que la stigmatisation du handicap pourra perdurer tant que le résultat demeure acceptable.

Après tout, n’est ce pas l’essentiel ? Tant qu’on a l’ivresse, qu’importe le flacon…. Certes, arriver à faire comme les autres est primordial mais à moins de s’être fourvoyé pendant tant d’années, ce n’est pas l’esprit de la loi.

Mais parfois l’esprit cède devant l’impérieuse nécessité de ne pas (trop) gêner. Et il est si pratique de faire un choix sans le faire. A ménager la chèvre et le chou, selon l’expression, on en vient à ne rien faire du tout.

Cette fuite en avant est réaffirmée pleinement dans le paragraphe trois de cet article.

Mais l’article 7 n’est rien en comparaison de ses suivants qui tiennent toutes leurs promesses, mais malheureusement pas celles de la clarté et de l’efficacité.

2 - … dès les suivantes …

L’article 8 modifiant l’article 111-19-8 du CCH, est lui aussi un modèle en l’espèce.

Dès le a) il plonge le lecteur, qui s’était encore bardé d’espoir jusque là, dans un abîme de perplexité.

« …S'ils sont réalisés à l'intérieur des volumes ou surfaces existants, ils permettent au minimum de maintenir les conditions d'accessibilité existantes »

Ce qui veut dire que tout ce que l’exploitant devra faire, tout ce que à quoi les PMR pourront prétendre, c’est... la même chose qu’avant !

Bien sur, nous grossissons quelque peu le trait et forçons sur l’absurdité de la chose mais que penser d’un établissement qui n’est pas accessible et à qui l’on impose, ou permet, de maintenir les conditions d’accessibilité existantes… C’est à dire aucune accessibilité ?

Cette lecture quelque peu forcée et exagérée de cette disposition pour souligner que plus un texte est flou, ambigu ou imprécis, plus il porte en son sein les conditions de son inapplication et les raisons de sa discussion. Gageons que cette phrase pourra donner lieu à de longues discussions dans les prétoires ou les cabinets des préfectures.

Quelques lignes plus loin, la contradiction bat son plein puisqu’il est rappelé que les ERP des quatre premières catégories (dits du premier groupe) devront être rendus accessibles à tout handicap. Où est donc passée la notion d’usage équivalent ?

Cependant, tel un feu d’artifice, c’est à la fin que le spectacle est le plus beau, avec le bouquet final, la suite de l’article.

Les établissements de 5° catégorie (dits du second groupe) sont également l’objet de mesures qui poursuivent l’œuvre de sape de l’esprit de la loi. Ces établissements devront, pour satisfaire à l’exigence d’accessibilité garantir qu’une partie du bâtiment devra délivrer l’ensemble des prestations et que cette partie devra être la plus proche de l’entrée. A l’évidence, c’est méconnaître la réalité quotidienne de ces établissements pour lesquels c’est l’accès qui est le plus problématique et pose les plus grandes difficultés. Or ici, rien n’est dit à ce sujet.

Le regroupement des prestations dans une partie du bâtiment n’aura pour effet que d’exacerber encore plus le handicap alors qu’il était dans le but premier de la loi de permettre à ceux qui le vivent au quotidien de le ressentir le moins possible dans la fréquentation des ERP.

Cette partie dont parle le décret, cet eldorado de l’accessibilité, ce graal de la PMR, devra être la plus proche de l’entrée ou de l’une des entrées principales et être desservie par un cheminement usuel.

Cela doit immédiatement nous interpeller sur cette notion de « l’une des entrées principales » : la plupart des établissements de 5° catégorie, notamment les commerces de centre ville qui sont les plus concernés, n’ont qu’une entrée compte tenu de leur taille et de leur positionnement géographique. A dire donc que ces établissements devront créer cette partie regroupant les activités près de l’entrée, entrée qui est bien souvent la principale pierre d’achoppement de leur accessibilité. Et pour ceux qui auraient la chance d’avoir plusieurs entrées, voici que leur est donnée la permission légale d’user d’une discrimination masquée.

Le décret n’oublie pas de mentionner la très miraculeuse mesure de substitution, véritable solution miracle de l’accessibilité. Une mesure de substitution qui, à bien des égards, ne peut manquer de nous interpeler

3 – De l’usage équivalent à la mesure de substitution

Voici la solution miracle qui permet au décret de se sortir d’une impasse dans laquelle l’accessibilité avait tendance à l’enfermer ….. pour s’engouffrer dans un désert aride et sans fin. Elle accompagne la qualité d’usage équivalent mentionnée à l’article précédent pour créer ce mirage, cette poudre aux yeux.

L’usage équivalent c’est la possibilité pour une autre chose ou situation d’arriver aux mêmes effets. Accrédite-t-on de ce fait, la possibilité pour un restaurateur de servir le repas d’une PMR sur une table dehors parce que son établissement comporte une ou deux marches à l’entrée ? Donne-t-on la possibilité à un hôtelier de loger une PMR dans un chambre aménagée rapidement près du parking de l’hôtel parce que c’est le seul endroit possible ? Après tout, il s’agit d’une chambre disposant du même confort, voire plus.

La mesure de substitution n’est que l’autre face de cette poudre aux yeux qui tente de faire passer une absence de mesure pour une solution miracle. Substituer c’est remplacer une chose par une autre.

Que pourra-t-on substituer à une marche qui barre l’entrée d’un établissement ? Que pourra-t-on substituer à un escalier situé dans un établissement qui compte un niveau ? Les exemples seraient légion si l’on n’interrompait pas leur énumération.

4 – Dérogation mon amour …

Au commencement était l’accessibilité sans limite. Un jusqu’au-boutisme s’était emparé du législateur qui avait pensé qu’il suffisait de l’écrire pour que cela se réalise. Et point n’était question d’y déroger… sauf cas extrêmes. Une action des associations spécialisées avait même abouti à l’interdiction de ces dérogations dans le neuf et leur restriction dans l’existant.

Force est de constater que quelques années après, l’inflexibilité de la réglementation n’est plus qu’un lointain souvenir. Le législateur a réintroduit les dérogations à doses homéopathiques, lentement mais sûrement. Certainement le plus sûr moyen pour l’Etat de faire diversion face à son impossibilité de mettre son patrimoine en conformité. Accorder des dérogations permet de faire diversion.

Il y a peu encore, elles étaient timidement évoquées dans les textes, subrepticement évoquées. Aujourd’hui, elles sont clairement évoquées, prévues et réglementées. Un article complet du décret leur est consacré.

Ne jetons pas l’opprobre sur l’ensemble de ce dispositif puisque sont clairement affirmées les possibilités de dérogations pour impossibilité liée à la configuration géographique du terrain sur lequel est situé l’ERP. Ce n’est que justesse. Nombre d’exploitants se demandaient comment pallier la déclivité du terrain qui les entourait. L’Etat n’avait d’autre solution pour ne pas engager des travaux pharaoniques sur la voie publique aux abords de ces établissements.

La possibilité de dérogation pour motif économique est ici encore précisée et trouve sa pleine application lorsque le financement des travaux a un « impact négatif critique » sur la viabilité économique de l’établissement. Voilà qui va permettre à bon nombre d’exploitants d’envisager l’avenir autrement que dans la difficulté financière, l’infraction permanente ou la perspective de l’arrêt de l’exploitation. Corollaire de ce point, l’impossibilité de financer les travaux est désormais inscrite dans le marbre de la loi. Il ne reste qu’à espérer que les seuils auxquels il est fait référence dans le texte pour juger de l’impossibilité de financer les travaux, ne soient pas irréalistes et prennent en compte l’exacte situation de la grande majorité des établissements.

Le b) du 3° peut laisser dubitatif à sa lecture et souligner toute la puissance hermétique du législateur. Il introduit la possibilité d’une dérogation lorsque « … une rupture de la chaîne de déplacement au sein de l’emprise de l’établissement rend inutile la mise en œuvre, en aval de cette rupture, d’une prescription technique d’accessibilité…. »

Soulignons, pour être tout à fait honnête, la clarté du motif de dérogation suivant lié à la présence d’un ERP dans un immeuble d’habitation pour lequel la copropriété refuse le vote des travaux de mise en accessibilité. Il y a peu encore, cette possibilité avait simplement été évoquée s’entourant d’un flou peu pratique mais tellement banal. Désormais, l’ERP qui se retrouve dans ce cas de figure est éligible à une dérogation de plein droit. Voilà au moins un cas de figure qui ne posera pas de problème lorsque les critères seront remplis. Cependant, il faut souligner que cette disposition, si elle permettra d’alléger les tribunaux et simplifier la vie de certains exploitants d’ERP, va risquer de les mettre également dans un certain embarras.

Prenons le cas d’un cabinet médical qui sera pris entre l’obtention d’une dérogation et son obligation déontologique de soigner toute personne… Voilà un débat qui ne manquera pas d’agiter les ordres professionnels concernés.

Ainsi l’épopée de l’accessibilité handicapé arrive pratiquement à son terme après des années de stagnation et quelques mois de revirements et d’avancées parfois désordonnées.

Le mécanisme de l’Ad’AP est désormais écrit et définit… Pour les cas les plus simples et ne posant pas de problèmes ou d’interrogations, c’est à dire pour une infime minorité.

Par contre, la très grande majorité des ERP va encore évoluer dans un océan d’incertitudes entre obligations de travaux et probables dérogations.

Au delà, ces textes renvoient une fois de plus PMR et ERP dos à dos en transformant une réglementation censée permettre l’intégration des premières dans le plus grand nombre des seconds en une accumulation de raisons de s’affronter. Nul besoin d’être devin pour imaginer que les PMR et les associations chargées de les représenter vont faire feu de tout bois pour dénoncer une réglementation qui ne fait évoluer l’accessibilité que de tout petits pas et la fait reculer de très grands pas.

Le législateur s’est mis, très tôt, dans une position de choix entre PMR et ERP et n’a su que se paralyser dans la prise de décision qui a tout d’un choix cornélien. Il semble que les derniers textes du 5 novembre aient franchi un pas significatif en direction des ERP.

Il ne nous appartient pas de dire si c’est bien ou si c’est regrettable.

Cependant, une fois de plus s’il en était besoin, ces textes prouvent de façon claire que l’accessibilité restera une contrainte tant que l’on ne lui aura pas substitué de manière claire l’adaptabilité qui permettrait l’accès du plus grand nombre au prix d’aménagements moins contraignants et forcément mieux acceptés.

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