Accessibilité : le grand écart avec l’arrêté du 8 décembre 2014

L’arrêté du 8 décembre, publié au JO du 13, vient préciser certains des points du décret du 5 novembre  sur l’accessibilité des établissements recevant du public situés dans un cadre bâti existant. Un texte qui favorise les exploitants d’ERP au détriment des personnes à mobilité réduite, selon Joël Hovsepian, fondateur de Precodia (ingénierie conseil), spécialiste des questions d’accessibilité. Décryptage.

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Accessibilité : le grand écart avec l’arrêté du 8 décembre 2014
Joël Hovsepian - Sarl Precodia (ingénierie conseil) - Expert près la cour d’appel d’Aix en Provence

Dès le premier article, il semble au lecteur qu’un pas s’amorce vers la voie d’un certain réalisme, si ce n’est d’une certaine sagesse. Le législateur aurait-il entendu les voix qui s’élèvent depuis quelque temps pour que soit pris conscience de l’ambiguïté de la notion d’accessibilité et la nécessité de la remplacer par celle d’adaptabilité pour une plus grande souplesse dans le traitement des ERP (établissements recevant du public).

Le texte énonce clairement et sans détour que « des solutions d’effet équivalent peuvent être mises en œuvre dès lors que celles-ci satisfont aux mêmes objectifs ». La prise en compte de cette dimension a été régulièrement demandée car il est apparu à bon nombre de ceux qui travaillent dans ce domaine que c’était l’une des solutions possibles pour, si ce n’est lever totalement, réduire grandement les difficultés que rencontrent et ne manqueront pas de rencontrer les exploitants devant mettre leurs établissement en conformité avec la réglementation.

En poursuivant plus en avant la lecture des différentes dispositions de ce texte, il s’avère que la situation n’est pas si idyllique qu’on pourrait le penser et la notion de solution équivalente pas si magique qu’il n’y paraît.

Cheminements extérieurs : le texte prévoit clairement à l’alinéa 1 du I de l’article 2 que « dès lors qu’une entrée principale ne peut pas être rendue accessible selon les dispositions prévues à l’article 4, l’accessibilité d’une entrée dissociée peut être envisagée. ». Peut-on réellement y voir une avancée, un progrès et un caractère facilitateur ? A la première lecture, l’on peut se laisser berner, mais le temps de la réflexion fait plus penser à une pirouette vidant de son sens premier la réglementation incendie.

L’esprit de la loi de 2005 reste tout de même, avant toute considération technique, axé sur, d’une part l’autonomie des PMR mais également, et surtout, la possibilité pour ces dernières d’avoir le même traitement que tous. C’est même le plus important de ses objectifs.

Or cette disposition permet de séparer les entrées des valides et des PMR, à condition que cette dernière soit accessible. Il n’y aurait qu’un tout petit pas pour trouver là la marque d’une ségrégation annoncée permettant, autorisons nous à l’extrême, de faire entrer les PMR par derrière, par la petite porte (pourvu qu’elle soit accessible) et leur enlever le droit le plus élémentaire d’être comme les autres.

Le législateur fait ainsi un pas de côté. Ce pas devrait permettre de contourner la difficulté pour, une fois effectué, revenir dans le droit chemin qui était emprunté. Malheureusement, ce pas de côté n’est fait que dans une seule direction, celle des exploitants.

Certes, et nous ne contredirons pas nos précédentes remarques, il était important, voire primordial de faire un pas en direction des exploitants pour leur permettre de supporter au mieux les contraintes liées à l’accessibilité. Certes, ce pas vient d’être fait. Mais nous avions appelé de nos vœux que ce pas ne soit pas fait en tournant le dos aux PMR, ce qui est malheureusement fait ici.

Choisir un camp au détriment de l’autre n’est pas une attitude satisfaisante et acceptable, ni moralement, ni au regard du principe d’égalité de tous les citoyens. Et c’est renvoyer dos à dos, PMR et exploitants au lieu de les réunir.
Un texte pour les PMR, le suivant pour les exploitants … le grand écart de l’accessibilité est maintenant permanent mais si les ponts permettent de relier ce qui est distant, la technique de la girouette n’indique que le vent ….

Passé ce premier moment de déception, il convient de poursuivre l’examen des mesures énoncées.
L’article 4 officialise une alternative des plus intéressantes à la difficulté d’accès aux bâtiments en inscrivant dans le texte la possibilité d’une rampe amovible. Si ces mécanismes sont aujourd’hui arrivés à maturité, nous pouvons toutefois regretter que le texte n’aille pas plus loin et n’autorise pas la rampe totalement amovible et démontable en encadrant sa mise en place de mécanismes permettant d’en garantir la présence dans l’établissement même lorsqu’elle n’est pas en service.

L’article 6 a le mérite d’être collé à la réalité en ce qu’il aménage l’obligation dimensionnelle des allées de circulation dans les établissements de restauration. Le législateur aurait enfin pris la peine de fréquenter des petits établissements de restauration et non plus que les salons vastes et dégagées des grandes tables ? Nombre de restaurateurs vont pouvoir enfin se projeter dans l’accessibilité sans craindre de désertifier leur espace de travail.

L’article 7 relatif aux circulations verticales a la délicate tâche de régler la problématique des ascenseurs, point qui fait couler beaucoup d’encre.
Il réaffirme les dispositions existantes dans l’ensemble de sa rédaction. Mais une fois de plus, il s’inscrit dans la rupture de l’égalité sous couvert du bon sens et de la prise en compte des réalités du terrain et des remarques des professionnels du terrain.
L’exonération d’installer un ascenseur lorsqu’une chambre adaptée au rez-de-chaussée présente une « ….. qualité d’usage de fonctionnement équivalente de celles situées en étages … » sera certainement une bouffée d’air frais pour certains hôteliers qui redoutaient les solutions d’accessibilité à mettre en œuvre.

Mais prenons le cas d’un établissement, comme c’est très souvent le cas, proposant différents niveaux de prestations dans les chambres et selon des tarifs différents et correspondant au niveau des prestations proposées. L’usage équivalent et le bon sens conduiront à la mise à disposition d’une chambre proposant le plus haut niveau de prestation au rez-de-chaussée pour les PMR. Et quelle sera l’attitude vis-à-vis du tarif ? Appliquera-t-on le tarif le plus élevé correspondant au niveau de prestation ce qui conduirait à pénaliser les PMR dont les ressources les auraient plutôt orientés vers des chambres d’un niveau moindre. Appliquera-t-on le tarif le moins élevé, ce qui lèserait les autres clients de l’hôtel obligés, de facto, à payer un tarif plus élevé pour des prestations similaires ?

L’article 12 a la délicate tâche de traiter, et espérons-le, de solutionner la problématique des sanitaires. Dés les premières lignes, on constate qu’il suit également la tendance imprimée dés le début du texte : l’accessibilité discriminante comme solution « miracle » en autorisant de « délocaliser » les sanitaires PMR ….
Que dire de l’exonération de séparation par sexe des sanitaires PMR alors que les sanitaires « classiques » sont eux séparés par sexe ….. Faciliter l’application de la loi par la discrimination et la rupture de l’égalité devient la règle …..

Le reste des articles du texte reprend les dispositions existantes et n’appellent que peu de commentaires. Ils n’apportent que peu de solutions novatrices ou nouvelles.

Le texte présente de nombreuses annexes qui précisent techniquement certaines des dispositions à mettre en place.

Les bandes d’éveil à la vigilance sont ainsi clairement détaillées et décrites et nous ne pouvons pas manquer de nous étonner de l’obligation faite de rendre obligatoire l’installation de plots sur ces bandes, ce qui a souvent pour effet de dénaturer totalement l’esthétique des établissements dans lesquels elles sont installées ….

Un nouveau texte, un de plus, venant alimenter le corpus juridique de l’accessibilité qui n’a plus à rougir face aux matières réglementaires les plus denses. Mais hélas, trois fois hélas, une fois de plus, ce texte ne fait que renforcer l’impression que les autres avaient donné en leur temps : l’impossibilité de prendre des mesures frappées au coin du bon sens et permettant, si ce n’est de résoudre les problématiques, de choisir une solution médiane, réellement médiane, satisfaisant au mieux les uns et les autres et replaçant le débat de l’accessibilité sur la thématique fondamentale du mieux vivre ensemble.

Cette fois ci, il semble plus qu’évident qu’un grand pas ait été fait en direction des exploitants d’ERP … au détriment des PMR, du moins c’est notre avis.

Il est grand temps que ces allers retours cessent entre les deux parties de ce dossier et que l’on évite un prochain texte pro PMR en réponse à celui-ci après que les associations d’usagers n’aient fait entendre leur voix. Avant que les exploitants ne donnent de la leur en réponse à un nouveau texte. Le balancier décisionnel n’est pas la solution et la prise de position en fonction du poids des groupes représentatifs ne peut être la meilleure des manières de dénouer cette problématique.

Le grand écart est certes une prouesse technique mais s’il conserve son esthétique dans les ballets de danse, il devient périlleux dans le domaine qui nous intéresse actuellement. L’on ne peut imaginer donner satisfaction aux un et aux autres tout en retirant un peu à chacun.

Il est grand temps que cette réglementation soit repensée, refondue et que les représentants des personnes concernées soient réunies autour d’une table en présence de modérateurs et de médiateurs, pour que ceux qui vivent l’accessibilité au quotidien puissent enfin faire évoluer la réglementation dans le sens de tous et qu’ainsi les mesures qui en découlent soient par eux acceptées et souhaitées.

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