Investissement local : la Caisse des Dépôts veut retrouver son « rôle historique »

Dans un grand entretien accordé à La Gazette, le directeur général de la Caisse des Dépôts, Pierre-René Lemas, se dit prêt à injecter de nouveaux fonds propres dans les territoires. « Notre activité stratégique de prêteur aux collectivités peut aller au-delà de l’enveloppe de 20 milliards d’euros déjà prévus », dit-il aussi. Pierre-René Lemas met également en avant les mécanismes de prises de décision de la Caisse, qui seront plus déconcentrés dès 2015.

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Investissement local : la Caisse des Dépôts veut retrouver son « rôle historique »
Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts

Membre du cabinet « Defferre » lors des premiers transferts de compétences venant de l’Etat, architecte des communautés de communes, préfet de Corse et de Lorraine, DG de Paris Habitat, directeur de cabinet du président du Sénat… : Pierre-René Lemas possède l’un des CV les plus étoffés de la République décentralisée. Après avoir tenu les rênes du secrétariat général de l’Elysée, le grand commis de l’Etat dirige la Caisse des Dépôts. En place depuis six mois, l’ancien directeur général des collectivités locales se veut au plus près des territoires. Entretien.

Finances

Comment pouvez-vous aider les collectivités à absorber la baisse des dotations de l’Etat ?

Pierre-René Lemas : L’enjeu pour les collectivités est de gérer ce changement de modèle sans être contraintes à diminuer radicalement l’investissement. Et même, si possible, en le poursuivant dans les territoires en matière d’infrastructures, d’équipements, de numérique… La Caisse des Dépôts doit donc accroître son activité de prêteur sur les fonds d’épargne. Elle doit aussi être davantage un financeur des territoires sur ses fonds propres. Elle doit en un mot retrouver le rôle historique qui était le sien comme partenaire de long terme des collectivités locales.

Comment comptez-vous remplir cet objectif ?

P.-R. L. : L’enveloppe de 20 milliards d’euros décidée par le Président de la République pour le financement du secteur local (lire par ailleurs) est un changement de nature. Cette activité stratégique de prêteur doit s’inscrire pour la Caisse des Dépôts comme une activité de long terme et, si nécessaire, aller au-delà des 20 milliards déjà prévus.  J’ajoute que nos prêts à long terme jusqu’à 40 ans au taux du livret A + 100 points de base sont extrêmement compétitifs ainsi que nos prêts « croissance verte » au taux du Livret A +75 points de base.

Quelle est la finalité précise de cette enveloppe de 20 milliards d’euros sur fonds d’épargne débloquée par la Caisse des dépôts sur la période 2013-2017 ?

P.-R. L. : Elle permet de financer tout projet nécessitant des financements longs (de 20 à 40 ans). La Caisse des Dépôts peut financer intégralement les projets inférieurs à 1 million d’euro et 75 % des projets entre 1 et 2 millions d’euros. A ce jour, 7 milliards d’euros ont d’ores et déjà été engagés et 4 milliards d’euros prêtés pour un total d’environ 2 000 projets. Compte tenu des cycles électoraux dont les effets sont connus, le rythme de lancement des nouveaux projets devrait s’accélérer en 2015. Je plaide pour que l’on aille au-delà de cette enveloppe si on la consomme intégralement. Mais l’urgence, c’est de s’engager, donc de commencer à investir maintenant.

Pourquoi souhaitez-vous renforcer l’ingénierie financière des collectivités ?

P.-R. L. : Parce qu’elles souffrent d’un manque en ce domaine. Et cette ingénierie financière leur est nécessaire dans un contexte où les leviers liés aux concours de l’Etat comme à la fiscalité sont limités. Je demande aux directions régionales de la Caisse des Dépôts de mettre à disposition des collectivités qui le souhaitent nos moyens d’ingénierie technique et financière. Il faut muscler notre présence notamment auprès des communes et intercommunalités de taille moyenne. Cela passera par des mécanismes de prises de décision plus déconcentrées et une nouvelle organisation plus efficace que nous mettrons en place dès le mois de janvier 2015.

Plus qu’un problème d’accès aux financements, les élus locaux craignent de ne pas avoir les reins assez solides pour pouvoir lancer des projets…

P.-R. L. : C’est pour cela que nous allons recréer dans quelques jours une direction de l’investissement qui regroupera tous nos moyens existants permettant d’injecter des fonds propres dans les territoires. Nous pouvons mobiliser au minimum 350 millions d’euros par an. Je ne parle pas de prêts mais bien de fonds propres. Ce sera un levier utile pour l’investissement même si ça ne répond bien sûr pas à tout. Cela permettra notamment de prendre des participations dans des SEM ou de financer des projets locaux, etc… Nous jouerons aussi un rôle d’ensemblier pour aider les élus locaux à boucler les tours de table techniques et financiers.

On a un peu le sentiment que vous êtes appelés en pompiers pour tenter de rassurer les collectivités face à la baisse des dotations. Est-ce suffisant ?

P.-R. L. : Je ne suis pas sûr qu’il y ait un incendie et si c’était le cas, la Caisse des Dépôts n’aurait de toute façon pas assez d’eau à elle seule pour l’éteindre. Un effort est demandé à tous les acteurs publics, que ce soient l’Etat, les collectivités locales ou la protection sociale. C’est un impératif d’intérêt national. Dans ce cadre, nous pouvons et nous devons contribuer à soutenir les collectivités. En même temps, tout le monde s’accorde à dire qu’elles doivent aussi faire l’effort d’optimiser leurs dépenses de fonctionnement.

De quelle façon ?

P.-R. L. : La Caisse des Dépôts peut jouer un rôle d’agrégateur pour fédérer différentes collectivités autour du financement du même type de projet. Elle peut contribuer à accompagner l’investissement territorial avec l’appui de la Banque européenne d’investissement grâce aux « project bonds » (obligations de projets). Nos directions régionales de la Caisse des Dépôts seront dès l’an prochain les points d’entrée de la BEI. Nous voulons aussi aider les collectivités à aller chercher plus en amont les nouveaux financements européens, et tout particulièrement ceux du plan de 300 milliards d’euros annoncés par la commission Juncker et dont les modalités de mise en œuvre devraient être fixées avant la fin de l’année.

Logement

Comment la Caisse des Dépôts répond-elle à la crise du logement ?

P.-R. L. : Nous avons atteint des records historiques de prêts pour le logement social et la politique de la ville. Nous avons, dans le même temps, mis en place un dispositif destiné aux familles dont les revenus se situent un peu au-dessus des plafonds HLM mais ne leur permettent pas de payer les loyers les plus bas du secteur privé en Ile-de-France ou dans les zones tendues, c’est ce que l’on appelle le logement intermédiaire. Cela correspond à un besoin de 40 000 à 60 000 logements. Nous avons créé en ce sens un fonds géré par notre filiale SNI et cofinancé par des investisseurs institutionnels. Ce n’est pas du PPP. C’est un dispositif tout à fait novateur par lequel nous attirons des acteurs privés pour répondre à un besoin d’intérêt général.

Où en est la mise en œuvre de ce projet ?

P.-R. L. : Nous avons mis en place un premier fonds portant sur 10 000 logements. Un deuxième programme sera lancé dans les tous prochains mois. Il portera sur 30 000 logements de plus. Notre participation s’élèvera là à 900 millions. L’Etat met en place en parallèle un fonds qui sera doté d’un milliard d’euros. La capacité additionnelle de ces fonds doit permettre de financer 30 000 logements intermédiaires. Grâce à cela, beaucoup de projets qui ne pouvaient voir le jour faute de financement vont pouvoir être réalisés.

Banque publique d’investissement

En quoi la BPI est-elle davantage que ses composantes originelles (FSI, CDC entreprises, Oséo, les dispositifs des régions…) ?

P.-R. L. : C’est une dynamique extrêmement forte. Bpifrance est bien plus que l’addition de ses composantes. Sur le seul premier semestre de cette année, elle a prêté 7,5 milliards d’euros et a apporté 750 millions en fonds propres. Cela concerne 80 000 entreprises. Le préfinancement du Crédit impôt compétitivité emploi par Bpifrance joue désormais un rôle majeur dans le financement des entreprises.

Certains élus régionaux se plaignent cependant d’une gouvernance complexe au sein de laquelle ils peinent à trouver leur place…

P.-R. L. : La gouvernance est celle, classique, d’une banque. La direction n’a rien de pléthorique. On aurait pu créer 22 BPI régionales… Mais cela aurait fait perdre l’effet de synergie d’une grande banque nationale capable de se projeter sur les territoires. Bpifrance a passé des conventions avec les Régions pour monter des guichets uniques. Il reste à accentuer cette dynamique avec plus d’agilité encore au bénéfice des entreprises dans les territoires. Bpifrance y est prête.

Réforme territoriale

Comment expliquez-vous que la réforme territoriale soit aussi difficile à mener ?

P.-R. L. : Les réformes territoriales sont toujours difficiles à mener. Lors des premières lois de décentralisation de 1982, certains disaient que c’était la fin de l’unité nationale et l’avènement d’une Etat fédéral. Et puis tout le monde s’est rallié à ce mouvement. Quand l’Etat a lancé, au début des années 1990, l’intercommunalité, cela a été de nouveau un débat long et intense. Certains étaient très hostiles et redoutaient la remise en cause du rôle donc de l’écharpe des maires. Enfin, un consensus a vu le jour autour de l’idée de bloc communal selon l’expression de Jacques Pélissard. En réalité, tout au long de ces décennies, la réforme a toujours été continue jusqu’à l’insertion de la notion de « République décentralisée » dans la Constitution.

Mais les couches se sont ajoutées les unes aux autres…

P.-R. L. : Je déteste le vocabulaire du « millefeuille ». Il ne s’agit pas de répartir des parts de gâteaux. Simplement, l’ensemble des élus mesure depuis quelques années, que nous sommes arrivés à un moment où l’effet des différentes réformes de décentralisation s’épuise. Nous avons besoin de muscler notre organisation territoriale.

De quelle manière ?

P.-R. L. : Il s’agit à la fois de faire émerger des agglomérations de taille européenne, de trancher la question des conseils généraux en milieu urbain et de renforcer les Régions. Ces orientations-là, de nombreux rapports parlementaires les ont définies. Chacun sait qu’il nous faut des Régions aux compétences renforcées et de taille européennes. Comme toujours en matière de décentralisation, le débat est très long. Il s’agit aussi de croiser et de concilier l’intérêt national avec les intérêts locaux. Ces débats sont éminemment légitimes car l’organisation même du territoire de la France est en jeu ainsi que la capacité à produire des économies d’échelle au bénéfice de tous.

Vous ne posez pas la question de l’émiettement communal en milieu rural…

P.-R. L. : Les communes, y compris les plus petites, sont consubstantielles à l’organisation du pays depuis la nuit des temps. La question posée aujourd’hui, c’est celle de la taille des communautés de communes. Celles-ci ont souvent été construites pour des raisons défensives. Elles recouvrent l’ancien canton ou le canton rêvé. Ces communautés de communes sont souvent trop petites. Or, l’union, en milieu rural, fait la force. Le débat est ouvert au Parlement. Il finira, je l’espère, par un consensus.

Cet article est extrait de lagazette.fr

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