Ce que cache le projet de Lafarge en France
Lafarge France, filiale du géant suisse des matériaux de construction LafargeHolcim, vient d'annoncer un projet de transformation de son dispositif industriel prévoyant la mutation de deux cimenteries en stations de broyage et la modernisation d’un site en Haute-Garonne. Derrière ces annonces se pose la question du démantèlement de l'outil industriel du cimentier en France.
Elodie Vallerey
Eric Olsen, le PDG du groupe suisse LafargeHolcim, avait prévenu ses équipes en novembre lors de la présentation des résultats de ce nouveau géant des matériaux de construction : avec des ventes en recul de 8,7 % l'an dernier, 2016 sera synonyme d'économies. La filiale Lafarge France est l'une des premières à subir la cure d'amaigrissement. Le 3 février, la société a annoncé dans un communiqué la transformation des cimenteries de La Couronne (Charente) et Saint-Vigor d’Ymonville (Seine-Maritime) en stations de broyage de ciment, impliquant la suppression de 202 postes au total. "Il ne restera plus que 27 salariés sur 116 à La Couronne et 31 sur 144 au Havre", détaille au Moniteur Sylvain Moreno, délégué central CGT chez Lafarge Ciments. La direction de Lafarge France parle, elle, de 153 salariés des deux sites à recaser, promettant des "solutions de reclassement" qui seront discutées avec les partenaires sociaux, dans la branche Ciments d'abord, ou dans les autres branches Granulats et Bétons.
En parallèle, une modernisation de sa cimenterie de Martres-Tolosane (Haute-Garonne) est prévue. Un investissement à hauteur de 80 millions d'euros, a confirmé une porte-parole du groupe au Moniteur, s'étalant jusqu'à fin 2018. Selon nos informations, il s'agit de regrouper les deux voies sèches longues de l'usine en une seule, pour atteindre une production de 2 500 à 3 000 tonnes de ciment par jour en vue de fournir le marché toulousain.
La transformation avant la fermeture ?
Au-dessus des sites de La Couronne et de Saint-Vigor d’Ymonville plane désormais l'ombre de Frangey, du nom de cette cimenterie yonnaise dont Lafarge avait annoncé la fermeture en 2011. A l’époque, ce projet avait eu un retentissement national suite à une grève de la faim de salariés et des arrêts de travail répétés dans les autres cimenteries du groupe. Mais le projet de l'entreprise de fermer complètement le site avait alors été retoqué par la justice, obligeant Lafarge à le reconvertir en station de broyage. Aujourd'hui, une vingtaine de salariés sur 74 continue de faire tourner l'usine. Le reste du site industriel a, lui, été "revitalisé" par une société de fabrication de textiles biodégradables.
La même destinée attend-elle les sites de La Couronne et Saint-Vigor d’Ymonville ? C'est ce que craignent les représentants des salariés du cimentier. "Il y a déjà énormément de surcapacités en France dans le broyage. Ces sites ne vont pas être pérennes et ils finiront pas être fermés comme la direction voulait le faire à Frangey", assure Sylvain Moreno. "Nous pensons qu'à terme Lafarge n'aura plus de cimenteries en France mais seulement des stations de broyage", pense pour sa part Johan Guet, délégué central Force ouvrière. Une stratégie qui se justifierait par la baisse structurelle du marché du ciment en France - de l'ordre de 30% depuis 2008 -, mais qui aurait des conséquences lourdes sur le plan de l'emploi, une station de broyage nécessitant près de quatre fois moins de main d'oeuvre qu'une cimenterie classique.
Pour la direction de Lafarge France, l'objectif en injectant 15 millions d'euros pour la transformation des usines de La Couronne et Saint-Vigor d’Ymonville est de les rendre "compétitives pour rester en proximité de (ses) clients et faire face aux concurrents locaux", explique une porte-parole au Moniteur. "Elles sont indispensables pour continuer à servir nos marchés locaux en ciments. La Couronne est un important producteur de sacs et dispose d'ateliers d'ensachage nécessaires au dispositif. Avec Le Havre (Saint-Vigor d’Ymonville, ndlr), nous souhaitons servir le marché local et une partie du marché francilien". Le but est également de profiter du "positionnement multimodal" de ce site et de sa capacité à approvisionner le marché parisien par barges. "Les 80 millions d'euros d'investissement envisagés à l'usine de Martres-Tolosane aujourd'hui avaient été promis à celle du Havre il y a quelques années", s'accordent à dire les syndicats. "La direction a fait croire aux salariés que les usines étaient pérennes et, aujourd'hui, elle déshabille Pierre pour habiller Paul".
Clinker importé
En toile de fond, la transformation progressive de cimenteries en stations de broyage crée un autre risque, celui de déclencher pour de bon le mouvement d'importation de clinker depuis l'étranger. Ce matériau, principal constituant du ciment, est un mélange de calcaire et d'argile. Il est fabriqué dans les cimenteries et alimente les stations de broyage. Si Lafarge France importe déjà du clinker, certes à dose homéopathique, qu'en sera-t-il après la fermeture des cimenteries de La Couronne et Saint-Vigor d’Ymonville ? Lors de la présentation du projet de transformation du dispositif industriel au comité d'entreprise le 2 février, la direction semble avoir brisé un tabou en communiquant que deux usines du groupe LafargeHolcim situées en Grèce et en Espagne fourniraient notamment ces nouvelles stations de broyage en clinker. "Ce projet ouvre la voie à de plus en plus d'importations et à une baisse inexorable de la production française", déplore Sylvain Moreno. De son côté, la direction assure vouloir faire appel "de façon privilégiée au dispositif français de LafargeHolcim" pour alimenter les activités de broyage des deux usines. "Le complément sera marginal et se fera au travers des usines (du groupe) des pays limitrophes", précise la porte-parole.
De 17,5 millions de tonnes annuelles actuellement, le marché français du ciment devrait remonter à 21 millions de tonnes à l'horizon 2020, avancent aujourd'hui les industriels du secteur. Avec ce projet, Lafarge France estime construire "un Lafarge Ciments plus robuste et pérenniser sa présence industrielle" dans l'Hexagone. Avec, en tout et pour tout, sept cimenteries et six usines de broyage.
Le projet global de transformation du dispositif industriel de Lafarge France, estimé pour l'instant à 117 millions d'euros au total, reste soumis aux négociations avec les représentants des salariés. Une journée de mobilisation devant le siège de Lafarge France à Clamart (Hauts-de-Seine) est prévue le 17 février, soutenue par l'intersyndicale Lafarge Ciments (CGT, Force Ouvrière, CFDT, CGC).
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