La vague d’ "uberisation" aux portes de la rénovation énergétique

Dans une note publiée en novembre intitulée « Organiser le marché des rénovations énergétiques lourdes pour anticiper l’uberisation de la filière », le think tank La Fabrique Ecologique s’interroge sur la façon la plus efficace de massifier la rénovation énergétique. Et surtout, avant que les « nouveaux barbares », ces géants californiens du numérique, n’envahissent le marché.

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La vague d’
Les rénovations lourdes restent aujourd’hui un marché de niche avec seulement 10 000 rénovations de ce type par an

Organiser le marché des rénovations énergétiques lourdes pour anticiper l’uberisation de la filière, ce titre du décryptage publié par La Fabrique Ecologique pourrait revenir à se poser la question : comment éviter dès à présent l’uberisation du secteur de la rénovation énergétique ? Drôle de question tout de même. Mais pas tant que ça. Car à y regarder de plus près, cette nouvelle forme d'activité est en train de gagner du terrain de façon fulgurante dans presque tous les secteurs. La rénovation énergétique ne sera pas épargnée.

Pour l’auteur de cette note, Sébastien Delpont, président du groupe de travail « rénovation énergétique des logements » de La Fabrique Ecologique, la réflexion conduite part d’un constat : le marché de la rénovation énergétique, à l’intersection de deux marchés - celui de la consommation d’énergie des ménages (plus de 45 Mrds €/an) et celui de l’amélioration de l’habitat (un peu moins de 40 Mrds €/an) - ne décolle pas. Il n’existe donc pas d’effet de vases communiquants entre les postes « énergie » et « travaux » dans le budget des ménages. Selon La Fabrique Ecologique, « certains professionnels s’inquiètent que le soutien à la rénovation énergétique fasse des gagnants et des perdants et freine le mouvement ».

Nos entreprises seraient-elles en train de regarder passer les trains ? « Le risque est fort pour certains acteurs, notamment dans un secteur aussi atomisé (93% des entreprises de moins de 10 salariés représentent 88% du chiffre d’affaires du secteur) de se faire soudainement balayer. Que ce soit par d’autres entrepreneurs du bâtiment qui auront investi le marché ou que ce soit de nouveaux acteurs, comme ont eu à le vivre les taxis Uber ou les librairies avec Amazon », précise la note. Ces acteurs californiens du numérique, décrits comme les « nouveaux barbares », s’intéressent de près à la question énergétique et ils n’auront aucun scrupule pour les acteurs en place lorsqu’ils auront décidé de passer à l’offensive sur les marchés de l’énergie et de la rénovation énergétique. Sébastien Delpont note d’ailleurs une certaine similitude entre ces secteurs et ceux déjà uberisés : activités peu numérisées représentant des sommes très importantes qui généraient de l’insatisfaction clients.

Les recettes du succès de ces acteurs numériques sont connues : répondre à un manque du marché, proposer un coût qui soit attrayant par rapport à la qualité du service rendu, rapidité du service et simplicité des services, perçus souvent comme complexes.

Qui sont ces « envahisseurs »

Le premier d’entre eux est bien entendu Google qui, avec l’acquisition du fabricant de thermostats intelligents Nest, sait qui se chauffe et comment. « Par le croisement de ces données avec les périodes de présence, la météo, la situation géographique (photos issues de Google Earth) et les données issues de milliers d’autres clients Nest, Google pourrait faire les diagnostics de performance énergétique les plus pertinents du marché », estime le président du groupe de travail. Par ailleurs, ce géant du numérique développe son projet SunRoof, permettant d’évaluer via Google Earth le potentiel de production photovoltaïque de chaque toiture avec simulations sur différents modes de financements. Entre les thermostats connectés et la production d’énergie, il n’y a qu’un pas pour passer à la rénovation énergétique. Et pas de doute, « Google saura construire un argumentaire personnalisé pour convaincre les ménages de réaliser les travaux et proposera une mise en relation avec des professionnels locaux qualifiés, en se prenant au passage 20% de commission, comme le pratique booking.com qui se fait l’intermédiaire entre consommateurs et hôteliers ».

Un autre américain n’est pas en reste : Elon Musk qui attaque le marché de l’habitat avec ses entreprises SolarCity, spécialisée dans les énergies renouvelables, et Tesla, fabricant de véhicules électriques qui propose des batteries domestiques. Son offre « Powerwall » de stockage d’électricité dans les bâtiments, lancée au printemps dernier aux USA et disponible en France début 2016, consiste à équiper les maisons de panneaux solaires et de batteries, en leasing ; une solution qui exonère les particuliers d’investir. Cette offre a été commercialisée via les réseaux sociaux et des réunions « Tupperware ». Une autre façon de vendre. Là-encore, une offre de rénovation lourde associée à un tiers-financement n’est plus très loin, estime le think tank. Tesla n'est pas resté longtemps le seul constructeur automobile à entrer sur le marché du stockage domestique de l'électricité, puisque le constructeur allemand Mercedes-Benz a lancé son premier système de stockage individuel de l'électricité.

D’autres acteurs, mais cette fois-ci français : NetAtmo, spécialisés dans les objets connectés notamment pour l’habitat et Qivivo (dans lequel Saint-Gobain a investi) dont la mission déclarée est de reprendre le contrôle sur les factures énergétiques des foyers et leur confort, à travers son thermostat connecté, ont bien l’intention de se faire une place sur ce marché.

Pour La Fabrique Ecologique, c’est bien un changement de répartition de la valeur entre acteurs de la filière qui se joue : « Le risque est bien réel que des géants du numérique prennent une part considérable de la valeur de ce marché, via une prise en main de la relation client, là où l’artisan maîtrisait cette relation clients en maison individuelle et où les majors du BTP la maîtrisait sur des ouvrages publics ou privés de grande taille ». Et d’estimer que « la bataille pour le contrôle de la chaîne de valeur ne fait que commencer ».

Les leviers pour développer les rénovations lourdes

Pour anticiper l’uberisation de la filière et développer massivement les rénovations lourdes, qui restent aujourd’hui un marché de niche avec seulement 10 000 rénovations de ce type par an, deux leviers principaux sont à activer : une baisse des coûts par plus d’industrialisation et une amélioration de la qualité réelle et perçue de l’offre qui doit passer par de meilleurs produits, de meilleures installations, un marketing de la rénovation, des garanties de performance énergétique et des solutions financières dédiées. Si La Fabrique Ecologique reconnaît que des réseaux et entrepreneurs se sont engagés dans cette voie (Operene, Baoene, Arch’Energie, Effiréno, Camif habitat, BatirEco, L’Atelier des Compagnons, Cozynergy…), ils sont limités par l’absence d’une demande plus massive. Et le think tank de souligner que « le marché de la rénovation énergétique a besoin de plus de projets, pas plus de subventions ».

Pour cela, il faut inciter ou contraindre les propriétaires à s’y engager. Certaines mesures de la loi Transition Energétique  vont dans ce sens (carnet de santé numérique des bâtiments, embarquement des travaux d’efficacité énergétique), mais Sébastien Delpont souligne qu’au niveau de la commande publique, il reste encore du chemin à parcourir, notamment en intégrant plus fortement des exigences environnementales associées à des garanties de performance à travers les contrats de performance énergétique (CPE). Il est temps que la filière de la construction et du logement organise elle-même cette massification avant que ne déferlent ces géants du numérique.

La méthode hollandaise en exemple

Pour concrétiser son analyse, La Fabrique Ecologique cite en exemple l’approche hollandaise EnergieSprong. L’idée est de s’inscrire en rupture et traiter d’un coup tous les freins au développement de rénovations lourdes industrialisées « zéro énergie » en s’appuyant sur 4 piliers :
- la fiabilité (garantie de performance énergétique sur 30 ans, pour rompre avec les appréhensions sur le manque de qualité de ce type de rénovation) ;
- la rapidité : rénovation achevée en une semaine et en site occupé ;
- le financement par les économies d’énergies : rénovation lourde rendue finançable par les économies d’énergies, par une baisse drastique des prix des travaux et l’existence d’une garantie de performance ;
- l’esthétique et le confort : un travail spécifique sur ces aspects avec l’objectif de rendre jaloux ses voisins.

La démarche a consisté en 2010 à mettre en place une équipe indépendante de « développeurs de marché », financée par le gouvernement et dont la mission était d’organiser ce marché. Leur choix s’est porté dans un premier temps sur le logement social, en rassemblant 7 bailleurs sociaux et en identifiant 100 maisons individuelles très semblables. Un dialogue compétitif a alors été lancé avec promesse d’en lancer un second de 1 000 logements si celui-ci était fructueux, puis un autre de 10 000 et de 100 000 en cas de succès répétés. L’offre s’accompagnait d’une solution de tiers-financement parapublic. A travers cette démarche, les entreprises du bâtiment ont montré une grande créativité ; le cahier des charges a été tenu pour un prix de 145 000 € pour le premier lot des 100 maisons, il est tombé à 45 000 € par logement pour le lot des 1 000 maisons. Selon La Fabrique Ecologique, « l’atteinte de ce niveau de prix, qui peut paraître élevé dans l’absolu, est un vrai succès : on touche enfin un modèle remboursable sur 30 ans par un surloyer d’un montant équivalent aux factures énergétiques ». Le niveau de prix atteint va permettre d’envisager cette approche aux particuliers, approche qui par ailleurs est créatrice d’emplois.

Si en France quelques bailleurs et constructeurs ont travaillé ensemble sur des solutions industrialisées, « il s’agit maintenant de s’organiser à beaucoup plus grande échelle, pour industrialiser ces rénovations lourdes à l’échelle du parc de plusieurs bailleurs, à celle des régions, en dépassant les rivalités historiques entre acteurs », conclut La Fabrique Ecologique.

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