Point de vue - Urbanisme et végétation sous perfusion…
(Ré)introduire la nature en ville procède de louables intentions, mais conduit à s’interroger sur la pertinence d’une telle démarche, ses présupposés et ses conséquences…
Par Laure Planchais, paysagiste DPLG, urbaniste et Grand Prix national du Paysage 2012
\ 14h02
Par Laure Planchais, paysagiste DPLG, urbaniste et Grand Prix national du Paysage 2012
Diverses publications et expositions récentes conduisent à s’interroger sur l'intérêt réel des bâtiments couverts de verdure «hors-sol» et de serres en culture hydroponique en milieu urbain. Plus généralement, le discours ambiant sur l’idée de «nature en ville» fait l’impasse sur les logiques, bonnes et/ou mauvaises, qui ont conduit jusqu’à récemment à la rejeter hors de la ville, territoire «naturel» actuel de la majeure partie de l’Humanité. Les arguments concernant les premiers sont, entre autres, la biodiversité et la limitation des ilots de chaleur. Au mieux fait-on fait des isolats artificiels, à l’exemple des zoos, des aquariums ou des plantes de nos séjours! Rien de très performant sur le plan écologique malgré l’intérêt pédagogique, ludique, décoratif, voire «cache-misère» d’une architecture en mal d’inspiration, mais surtout argument de bonne conscience écologique.
Friches jardinières
En cette période de pénurie budgétaire généralisée qui touche en premier lieu la maintenance des bâtiments et des jardins, qu’adviendra-t-il de l’entretien méticuleux et constant nécessaire à ce type de situations rendant la survie des plantes d’autant plus fragile à la moindre panne? Faut-il s’attendre à voir apparaître des friches jardinières de malheureux pots vides d’ici peu? Quant à la réduction de l’effet de chaleur par les plantes, il n’est effectif que si le substrat dispose d’une forte rétention d’eau et que les plantes utilisées ont une grande capacité d’évapotranspiration. Bref, si on arrose beaucoup! Les sedums, frugaux en la matière - et les moins onéreux à mettre en œuvre – ne présentent donc pas beaucoup d’intérêt de ce point de vue.
Aberration économique
En ce qui concerne les cultures maraîchères en milieu urbain dense, comment comprendre la pertinence de cette réponse en plein essor de l'écologie alimentaire, du slow food, de la crise du modèle agricole sur-productiviste et des friches qui vont de pair? Les ouvrages scientifiques de nos amis Belges et Allemands se montrent très circonspects sur les risques de pollution de ces cultures maraîchères - plus récréatives que productives - dans les grandes agglomérations. Construire en ville des serres horticoles est, par ailleurs, une aberration économique au vu du coût du foncier et de l’obligation de robustesse du verre qui multiplie par plus de 12 le coût d’une serre horticole habituelle! En pleine crise du logement cela apparaît scandaleux. Enfin, nous connaissons tous le peu d'intérêt gustatif des tomates ou des fraises issues de cultures hydroponiques hors-saison! Face à ces considérations, l’argument du «circuit court» semble quelque peu ténu. Quant à celui de l'expérimentation pour nourrir la planète ou les zones arides, il apparaît bien moins porteur sur le plan scientifique que l’expérience «Biosphère 2» conduite il y a plus d’une vingtaine d’années.
Précieuse ridicule
La ville qui prétend se substituer à la campagne avec une absence totale d'intelligence et un profond mépris pour le monde agricole et ses difficultés nous révolte. Avons-nous envie de manger des tomates urbaines sous perfusion, même «Bio» alors qu’il se trouve tant de friches agricoles aux portes de la ville et d’agriculteurs en difficulté? J'ai, pour ma part, envie de pouvoir me promener dans une campagne cultivée, belle à regarder, à photographier, à dessiner et à goûter, plutôt que de transposer en ville le modèle sur-productiviste qui a montré ses limites. De même que m’exaspèrent les abus de langage récurrents dans le monde de l'urbanisme, se délectant d’agriculture urbaine, vocable de «Précieuse ridicule» empreint de rédemption sociale et écologique, sans en connaître le B-A BA agronomique. Je suis d’ailleurs frappée par le nombre de potagers urbains à l’ombre des arbres, dont celui éphémère de la place de la République au pied d’un platane, alors même que l’écrasante majorité des légumes et des fruits ne supporte ni ombre ni concurrence pour dignement égayer les papilles.
Passe-temps
L'histoire des jardins potagers est très instructive. On y apprend qu’en période de crise économique, de guerre, de révolte sociale, on promeut les potagers, ressource d’autosuffisance alimentaire mais aussi passe-temps dérivatif aux risques de conflits sociaux. Tandis qu’en pleine croissance économique, on cache, voire on interdit dans les règlements de lotissement cet espace qui rappelle les périodes de disette et le bricolage du dimanche. J'avoue que le plaisir de remuer la terre, d'arracher certaines plantes et de voir en pousser d'autres est un défouloir jouissif! Mais de là à prétendre que c’est de l’agriculture, c’est franchement fallacieux. Pour m’y être essayée dans une campagne maraîchère par excellence, cultiver un potager mais surtout goûter les fruits de son labeur demande un effort digne d'un plein temps d'avant les 35 heures! Bref, je pense que la mode potagère va vite s’essouffler, même si la comptine «Savez-vous planter des choux à la mode de chez nous?» a déjà traversé près de sept siècles!
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