Le juge contrôle l'erreur manifeste d'appréciation sur l'utilité de la préemption

Zone d'aménagement différé -

Arrêt du 17 juin 2014 Conseil d'État CE du 17 juin 2014, n° 358438, « Mme B. c/ communauté d'agglomération de Montpellier »

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 avril et 4 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme A...B..., demeurant... ; Mme B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10MA02144, 11MA03477, 11MA00254 du 9 février 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille :

- a dit n'y avoir pas lieu de statuer sur la requête n° 11MA03477 tendant à ce que soit prononcé le sursis à exécution du jugement n° 100052 du 18 novembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a annulé sa décision de préemption du 29 décembre 2009 sur les parcelles cadastrées SM 22, 27 et le lot de copropriété n° 2 de la parcelle SM 25 à Montpellier ;

- a rejeté la requête n° 11MA00254 de la communauté d'agglomération de Montpellier tendant à l'annulation de ce jugement ;

- statuant sur la requête n° 10MA02144 de la communauté d'agglomération de Montpellier, a annulé l'ordonnance n° 0905557 du 31 mars 2010 par laquelle le président de la première chambre du tribunal administratif de Montpellier a dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de Mme B...tendant à l'annulation de la décision du 10 novembre 2009 par laquelle le président de la communauté d'agglomération de Montpellier a exercé le droit de préemption sur les parcelles cadastrées SM 22, 27 et le lot de copropriété n° 2 de la parcelle SM 25 à Montpellier ;

- a rejeté la demande de Mme B...tendant à l'annulation de la décision de préemption du 10 novembre 2009 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la communauté d'agglomération de Montpellier ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération de Montpellier la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Grosset, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de Mme B...et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la communauté d'agglomération de Montpellier ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre d'un projet de vente par la congrégation des Petites soeurs des pauvres à Mme B... de parcelles bâties situées à Montpellier, une déclaration d'intention d'aliéner ces parcelles, en vue d'un éventuel exercice du droit de préemption urbain, a été adressée à la mairie de Montpellier le 8 septembre 2009 ; que, par décision du 10 novembre 2009, la communauté d'agglomération de Montpellier a exercé son droit de préemption sur ces parcelles ; que le 27 novembre 2009, la congrégation des Petites soeurs des pauvres a fait, à la demande de la communauté d'agglomération de Montpellier, une nouvelle déclaration d'intention d'aliéner mentionnant, cette fois-ci, l'exercice du droit de préemption à raison de la zone d'aménagement différé de Pont Trinquat-Méjanelle, dans le périmètre de laquelle se situaient les parcelles ; que le 29 décembre 2009, la communauté d'agglomération de Montpellier a pris une nouvelle décision qui a, par un article 1er, abrogé la première décision de préemption et, par un article 2, de nouveau préempté les mêmes parcelles ;

2. Considérant que, devant le juge d'appel, la communauté d'agglomération de Montpellier a contesté, d'une part, le non-lieu prononcé, par une ordonnance du tribunal administratif de Montpellier du 31 mars 2010, sur la demande de Mme B...d'annulation de la première décision de préemption et, d'autre part, l'annulation, par un jugement du même tribunal du 18 novembre 2010, de l'article 2 de la décision du 29 décembre 2009, par lequel elle exerçait pour la seconde fois son droit de préemption, au motif que cette décision était intervenue tardivement ; que, par un arrêt du 9 février 2012, la cour administrative d'appel de Marseille a, d'une part, rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme B...tirée de ce que la communauté d'agglomération de Montpellier était dépourvue d'intérêt à agir contre l'ordonnance de non-lieu et a annulé cette ordonnance ; qu'elle a, d'autre part, confirmé l'annulation par le tribunal administratif de la seconde décision de préemption en raison de son caractère tardif ; qu'enfin, après avoir relevé le caractère indissociable de l'article 1er de la décision du 29 décembre 2009, qu'elle a regardé comme retirant la première décision de préemption, et de son article 2, a annulé cet article 1er, constaté que la première décision de préemption pouvait à nouveau produire ses effets et jugé que cette décision n'était pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; que le pourvoi de Mme B... doit être regardé comme tendant à l'annulation de cet arrêt en tant qu'il annule l'ordonnance du 31 mars 2010 ainsi que l'article 1er de la décision du 29 décembre 2009 et rejette sa demande d'annulation de la décision du 10 novembre 2009 ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt en tant qu'il rejette la fin de non-recevoir soulevée par Mme B...tirée de l'absence d'intérêt à agir de la communauté d'agglomération de Montpellier contre l'ordonnance de non-lieu du 31 mars 2010 :

3. Considérant que, dans l'hypothèse où un juge du premier degré décide qu'il n'y a pas lieu à statuer sur la demande dont il a été saisi par suite de la disparition de l'objet de cette dernière, l'intérêt à relever appel d'un tel jugement doit être apprécié au regard des conclusions des parties à l'instance ; que si la partie ayant elle-même conclu en cours d'instance à ce qu'il n'y ait lieu de statuer sur la demande est sans intérêt à contester un tel jugement, il en va différemment pour la partie qui n'a pas présenté de conclusions en ce sens ; qu'en outre, alors même que la recevabilité d'une demande de suspension de l'exécution d'une décision est subordonnée à la présentation d'une requête en annulation ou en réformation, la circonstance que, dans un même litige, une partie ait sollicité un non-lieu devant le juge des référés ne saurait faire présumer de l'existence d'une demande de non-lieu dans l'instance au fond ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si la communauté d'agglomération de Montpellier a conclu au non-lieu à statuer sur la demande formée par Mme B... de suspension de la décision de préemption du 10 novembre 2009, elle n'a, en revanche, pas présenté de telles conclusions dans l'instance au fond ; que, par suite, elle avait intérêt à demander l'annulation de l'ordonnance prononçant le non-lieu à statuer sur la demande d'annulation de la première décision de préemption ; qu'ainsi, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas commis d'erreur de droit en rejetant la fin de non-recevoir soulevée par Mme B... devant elle ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt en tant qu'il statue sur la légalité de la décision de préemption du 10 novembre 2009 :

5. Considérant qu'aux termes des premier et troisième alinéas de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone " ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une collectivité exerce dans une zone d'aménagement différé le droit de préemption dont elle est titulaire à des fins de constitution de réserves foncières en se référant aux motivations générales de l'acte qui crée cette zone, elle n'a pas à justifier de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement à la date de sa décision ; que, toutefois, la collectivité ne peut légalement exercer ce droit si la préemption est dépourvue d'utilité pour atteindre les objectifs en vue desquels la zone a été créée ; qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de s'assurer de l'absence d'erreur manifeste dans cette appréciation ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède et ainsi qu'il a été dit au point 5 qu'eu égard au moyen soulevé devant les juges du fond, tiré de ce que la parcelle était insusceptible d'être utilisée pour le programme immobilier prévu dans la zone et que la réalisation des infrastructures envisagées était d'ores et déjà engagée dans d'autres secteurs, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en opérant un contrôle restreint sur ce point ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt en tant qu'il annule l'article 1er de la décision du 29 décembre 2009 :

7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel de Marseille n'était pas saisie de conclusions tendant à l'annulation de l'article 1er de la décision du 29 décembre 2009 de la communauté d'agglomération de Montpellier abrogeant la première décision de préemption du 10 novembre 2009 ; que Mme B... est, dès lors, fondée à soutenir que la cour a statué au-delà des conclusions dont elle était saisie en annulant l'article 1er de cette décision ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'arrêt de la cour administrative de Marseille en tant seulement qu'il annule l'article 1er de la décision du 29 décembre 2009 ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté d'agglomération de Montpellier le versement à Mme B...d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que la communauté d'agglomération de Montpellier présente au même titre ;

Décide :

Article 1

L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 9 février 2012 est annulé en tant qu'il annule l'article 1er de la décision de la communauté d'agglomération de Montpellier du 29 décembre 2009.

Article 2

La communauté d'agglomération de Montpellier versera à Mme B...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3

Les conclusions de la communauté d'agglomération de Montpellier présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4

La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la communauté d'agglomération de Montpellier.

COMMENTAIRE

À la suite d'une déclaration d'intention d'aliéner, une communauté d'agglomération décide de faire usage de son droit de préemption sur les parcelles concernées. Ces dernières se situaient à l'intérieur d'une zone d'aménagement différé (ZAD) et devaient être acquises au titre de réserves foncières. Un particulier a contesté cette opération en faisant valoir qu'elle n'était pas justifiée au regard des objectifs poursuivis par la constitution de la ZAD.

Pour le Conseil d'État, le juge doit excercer un contrôle de l'appréciation qui est faite de l'utilité de la préemption au regard des objectifs en vue desquels la zone a été créée. Ainsi, lorsqu'une collectivité utilise son droit de préemption aux fins de constitution de réserves foncières au sein d'une ZAD, elle doit se référer aux motivations générales de l'acte qui crée cette zone (article L. 210-1 du Code de l'urbanisme) et le juge doit s'assurer de l'absence d'erreur manifeste dans cette appréciation.

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